Cet été, des actions coup de poing ont été menées dans plusieurs villes espagnoles par des groupes d'habitants, pour dénoncer les effets néfastes sur leur quotidien du déferlement de dizaines de millions de vacanciers.
Des formes de "tourismophobie" montent aussi depuis des années à Venise, Dubrovnik, Ibiza, Gérone ou Majorque, où les flots de visiteurs grossissent toujours plus.
Mais ce "touriste" - accusé de tous les maux - n'est bien souvent que "le bouc-émissaire d'un malaise qui en cache un autre, celui de sociétés fragmentées par l'industrie du tourisme", relève l'anthropologue Jean-Didier Urbain, au dernier jour du salon professionnel du Tourisme Top Resa à Paris.
Le tourisme massif produit "des effets extrêmement clivants sur la population locale: d'un côté des gens s'enrichissent, et de l'autre des gens subissent, sont prolétarisés et marginalisés", souligne-t-il à l'AFP.
"Et un voyageur, quel qu'il soit, est un éternel intrus. Son intrusion est toujours plus ou moins bien vécue par rapport à ce que cela apporte, et rapporte, aux +visités+", résume M. Urbain qui enseigne à l'université Paris V.
Dans ces villes saturées à longueur d'année, "il finit par y avoir une rupture d'équilibre entre la vie quotidienne des habitants et une activité touristique qui génère trop de nuisances, avec des gens qui viennent avant tout pour faire la fête sans respect des populations locales", relève Didier Arino, directeur du cabinet Protourisme.
Même sans faire d'excès, les vacanciers peuvent faire les frais de résidents hostiles: "notre appartement Airbnb à Barcelone avait une terrasse sur laquelle donnaient les fenêtres des étages supérieurs. Le soir on y a dîné, on n'a pas fait particulièrement de bruit mais au matin, la terrasse était constellée d'oeufs pourris écrasés, une habitude apparemment de certains habitants de l'immeuble", raconte Anne-Laure, Française de 41 ans.
Car ce sont avant tout les problèmes liés à l'hébergement des vacanciers qui crispent les locaux, au-delà du bruit ou de la disparition des commerces de proximité au profit d'échoppes à touristes.
Quotas de touristes?
Le boom des locations saisonnières de type Airbnb a fait grimper les prix de l'immobilier, évinçant de certains quartiers les classes populaires mais aussi certaines classes moyennes.
"On va avoir une démultiplication dans ces zones si les pouvoirs publics ne prennent pas des mesures de régulation des logements saisonniers", estime Didier Arino.
Pour l'anthropologue Saskia Cousin, "il ne s'agit pas d'interdire une pratique qui révèle l'inadéquation du système hôtelier - notamment pour les familles - et comble un besoin réel; mais le rôle des politiques publiques n'est-il pas aussi de protéger les habitants?", s'interroge-t-elle.
"Barcelone et Venise ne sont pas des cas isolés mais révèlent ce que l'on savait déjà depuis une quinzaine d'années: la perte de contrôle des pouvoirs publics face au phénomène touristique", résume Mme Cousin qui a co-signé un ouvrage intitulé "Sociologie du tourisme".
Et elle souligne aussi que "le problème, bien connu, est que le développement touristique est exponentiel, et que passé certains seuils, il est très difficile de revenir en arrière".
D'autant que l'industrie du tourisme est souvent une manne financière pour ces destinations: en Espagne, le secteur représente plus de 11% du PIB.
"La solution serait de fixer un quota de résidents par rapport à la population locale pour la protéger, comme en Autriche ou en Suisse", avance Jean-Didier Urbain.
Mais "en l'état, on observe que, d'une certaine manière, le tourisme est en passe de s'autodétruire", résume Saskia Cousin, soulignant que "dans certaines stations, les saisonniers ne peuvent plus se loger puisque toutes les chambres sont louées à des vacanciers".
S'il a commencé à faire entendre sa voix, le mouvement anti-touristes pèse encore bien peu face à ceux qu'il veut décourager. "Quand une ville devient véritablement hostile au touriste, le touriste ne vient plus", assure Jean-Didier Urbain.
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