La mer a charrié leurs corps frêles sur le sable de cette nation parmi les plus pauvres de la planète, submergée par l'afflux d'un demi-million de musulmans rohingyas tentant d'échapper, par voie terrestre ou par bateau, aux violences dans l'ouest de la Birmanie.
L'ONU considère que l'armée birmane et les milices bouddhistes s'y livrent à une épuration ethnique.
Un mois après le début de la crise, l'exode des Rohingyas a connu jeudi un nouveau deuil avec ce naufrage de l'embarcation à bord de laquelle se trouvaient Shona et sa famille, partis d'un village côtier de Birmanie.
Si les autorités ont confirmé en l'état 23 morts dans cet accident, l'ONU estime qu'une soixantaine de personnes y ont vraisemblablement perdu la vie - la mer n'ayant pas rendu tous les corps.
Parmi les victimes figure Saiful Rahman, un garçon rohingya d'un an, dont la dépouille git sur le sol en béton d'une école primaire située non loin de la plage où il a échoué. C'est ici qu'habitants et autorités regroupent les corps des naufragés.
Sa mère, Nur Fatemah, défait la bâche de plastique jaune enveloppant son fils. Elle contemple d'un regard vide la petite dépouille couverte de sable. Elle est trop exténuée pour pleurer.
Elle-même a survécu de justesse à cette traversée presque sans eau ou nourriture, puis à la destruction de leur bateau contre un récif à portée de main de la rive bangladaise dans le golfe du Bengale.
"Je suis tellement fatiguée. Je ne sais pas quoi dire", dit-elle à l'AFP en éventant les mouches qui viennent se poser sur le corps de son plus jeune enfant.
Rites funéraires
Nur Fatemah n'est pas au bout de son malheur.
Des policiers entrent dans la cour de l'école, portant un nouveau cadavre: une femme en sari orange, découverte sur le rivage vendredi matin et laissée pendant trois heures en bord de la route.
C'est la belle-soeur de Nur Fatemah. Celle-ci se déplace et va s'accroupir à ses côtés. Doucement, elle enlève les grains de sable logés dans ses cheveux noirs.
À proximité du Bangladesh, leur bateau s'est retrouvé ballotté par d'énormes vagues provoquées par la mousson, raconte son mari Abdus Salam.
"Le capitaine n'arrivait pas à diriger l'embarcation. Il n'a pas vu le récif sous l'eau et nous l'avons heurté", décrit-il à l'AFP.
Sous la violence du choc, le bateau de pêcheurs s'est brisé. Sa centaine de passagers, principalement des enfants, ont été projetés dans les eaux grisâtres de l'océan.
"J'ai perdu deux enfants", gémit Lal Miah en montrant l'alignement de corps inanimés.
"Mes deux autres manquent toujours à l'appel."
Ce drame rappelle que les Rohingyas, une minorité apatride d'un million de personnes installée en Birmanie, continuent d'affluer vers le Bangladesh, malgré les assurances des autorités birmanes que les violences ont cessé et que de nombreux villages musulmans n'ont pas été incendiés.
En attendant un retour des Rohingyas dans le pays, qui reste pour l'heure très hypothétique, dans les camps côté Bangladesh, autorités et ONG sont débordées. L'insalubrité fait craindre l'apparition d'épidémies de choléra, de dysenterie ou de rougeole.
À Cox's Bazar, l'humidité devient de plus en plus insupportable au fur et à mesure de la journée. Des femmes bangladaises préparent les noyés pour les rites funéraires musulmans.
Avec précaution, elles découpent les vêtements des morts et lavent les enfants avant de les envelopper dans des draps blancs.
Les morts sont emmenés sur un terrain pour y être enterrés. Un imam prononce les prières rituelles. Des centaines d'habitants y assistent en silence, la tête baissée.
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