"L'affaire Papon" avait éclaté le 6 mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Le Canard enchaîné publiait ce jour-là un article intitulé "Quand un ministre de Giscard faisait déporter des Juifs".
La révélation, qui vise le ministre du Budget de Valéry Giscard d'Estaing, est un coup de tonnerre. Préfet, maire, député, ministre, Maurice Papon, grand serviteur de l'État, a connu durant des décennies les honneurs de la République.
Il est demeuré près de neuf ans (1958-1967) à la tête de la préfecture de police de Paris, en particulier durant la guerre d'Algérie. C'est lui le "patron" lors de la répression des manifestations d'Algériens les 17-20 octobre 1961 (des dizaines de morts) et de celle au métro Charonne, le 8 février 1962 (9 morts).
L'hebdomadaire satirique récidive les 13 et 20 mai 1981, reproduisant des documents signés Papon, qui tendent à prouver sa responsabilité dans la déportation de 1.690 Juifs de Bordeaux à Drancy (Seine-Saint-Denis), et de là vers Auschwitz, entre 1942 et 1944.
Jury d'honneur
Une première plainte est déposée le 8 décembre 1981 pour "crimes contre l'humanité" au nom de la famille Matisson-Fogiel, concernant huit personnes, arrêtées et internées à Bordeaux, exterminées à Auschwitz.
Un Jury d'honneur composé d'anciens résistants rend cependant le 15 décembre une sentence plutôt favorable à Maurice Papon. Il lui reproche d'avoir contribué à des arrestations et déportations, et de ne pas avoir démissionné en juillet 1942, mais conclut qu'il a participé à la Résistance par une attitude "courageuse".
Après de nouvelles plaintes et l'ouverture d'une information judiciaire en juillet, Maurice Papon est inculpé en janvier 1983 de "crimes contre l'humanité".
Deux ans plus tard, une expertise confiée aux historiens Jacques Delarue et André Gouron, ainsi qu'à l'ancien préfet Roger Bellion, penche aussi en faveur de Maurice Papon: il a évité des déportations en opérant "130 radiations" dans le fichier des Juifs.
Une erreur de procédure du juge d'instruction provoque l'annulation, en février 1987, de toute l'instruction. La chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux est désignée pour reprendre l'affaire.
En 1988, nouvelle inculpation. Recevant à l'Élysée l'association Résistance-Vérité-Justice qui soutient Maurice Papon, le président François Mitterrand qualifie l'affaire de "règlement de comptes politique" et la longueur de l'instruction d'"attentatoire à la démocratie".
Six mois de procès
En 1996, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux renvoie Maurice Papon devant la cour d'assises pour complicité de crimes contre l'humanité, contre l'avis initial du procureur général.
Le 8 octobre 1997, s'ouvre à Bordeaux le plus long procès criminel de l'après-guerre. Historiens et résistants s'opposent sur le rôle de l'accusé et de Vichy, avant les témoignages, souvent poignants, des familles des victimes.
"Nous sommes des survivants, nous espérons de ce procès d'être des vivants", lance Maurice Matisson, dont huit proches ont été déportés dans un convoi organisé par Maurice Papon.
L'ex-préfet, notamment défendu par un ténor du barreau, Jean-Marc Varaut, "reste droit dans ses bottes, obstiné", se rappelle un avocat des parties civiles, Gérard Boulanger. "Je veux bien me repentir, mais de quoi? De quelle faute?" lance-t-il.
Après six mois d'intenses débats, le 2 avril 1998, Maurice Papon est condamné à 10 ans de réclusion criminelle et au versement de l'équivalent de 700.000 euros aux parties civiles.
Le 21 octobre 1999, la Cour de cassation refuse d'examiner son pourvoi parce qu'il s'est enfui en Suisse au lieu de se constituer prisonnier la veille de l'audience. La condamnation devient dès lors définitive.
Maurice Papon est arrêté, extradé de Suisse le jour même et interné à la prison de Fresnes. La justice le remettra en liberté le 18 septembre 2002 en raison de son état de santé. Il meurt le 17 janvier 2007.
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