Ce phénomène, l'eutrophisation, est "une sorte d'indigestion des écosystèmes", explique Gilles Pinay, chercheur au CNRS et co-pilote d'un rapport réalisé à la demande des ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture qui fait le point des connaissances sur le sujet.
Due à une surcharge d'azote et de phosphore issus notamment des activités agricoles et industrielles, l'eutrophisation se traduit par une prolifération de microalgues vertes dans les zones côtières. Leur décomposition entraîne un appauvrissement ou un épuisement du milieu en oxygène, voire l'émission de gaz toxiques.
Dans les lacs et les cours d'eau, elle se manifeste par l'apparition de cyanobactéries toxiques (autrefois appelées "algues bleues").
"L'absence d'oxygène va détruire ou tuer à peu près tous les organismes vivants", explique Gilles Pinay.
Une quarantaine de chercheurs français et étrangers de plusieurs organismes (CNRS, Ifremer, Inra, Irstea, universités) ont épluché pendant deux ans des milliers d'articles de la littérature scientifique existante. Leur conclusion est sans appel: "on assiste actuellement à une recrudescence" des épisodes d'eutrophisation, à "une crise majeure".
"Au niveau mondial, le nombre et l'emprise des zones très pauvres en oxygène en milieu marin ont triplé depuis les années 1960", indiquent-ils. "Un recensement de 2010 les porte à près de 500, avec une emprise géographique de 245.000 km2".
Côté eaux douces, un grand lac comme le Lac Erié, par exemple, a connu "des épisodes très sévères en 2011 et en 2014, au point que la ville américaine de Toledo (400.000 habitants) "a distribué pendant plusieurs jours de l'eau en bouteille à ses habitants". Des épisodes qui se sont reproduits en 2015.
Nouvelle vague
Menace pour l'environnement et la santé humaine, l'eutrophisation l'est aussi pour l'économie, du fait de son impact sur des activités comme la pêche, la production de coquillages ou le tourisme.
Le phénomène n'est pas nouveau: il avait déjà été observé dans les années 70 et 80 dans les grands lacs alpins, notamment le lac Léman.
"On avait réglé le problème puisqu'il venait en grande partie des stations d'épuration qui se jetaient directement dans les lacs, et des lessives phospatées", rappelle M. Pinay.
Mais depuis, une nouvelle vague d'eutrophisation se répand, touchant de nombreux lacs, réservoirs, rivières et zones côtières. Selon les chercheurs, certains lieux sont désormais victimes de "crises récurrentes": mer Baltique, golfe du Mexique, lac Victoria, lacs et côtes de Chine, côtes bretonnes, lagunes méditerranéennes...
Lutter contre le phénomène n'est pas une mince affaire, car non seulement les apports de phosphore et d'azote résultant des engrais utilisés par les agriculteurs restent importants, mais ces deux substances sont déjà présentes dans les sols, les sédiments et les aquifères. Et doucement, de façon diffuse, elles rejoignent les cours et les plans d'eau ainsi que les zones côtières, contribuant à l'eutrophisation.
L'azote séquestré dans les nappes phréatiques, par exemple, "peut y rester plusieurs dizaines d'années avant de ressortir dans les cours d'eau", indique M. Pinay. Quant au phosphore, "une fois qu"il a été mis dans le système,il va y rester".
Le rapport ne fait pas de recommandations mais, dans tous les cas, il faut agir à la fois contre le phosphore et l'azote si l'on veut traiter le problème à long terme, souligne Chantal Gascuel, chercheuse à l'Inra.
D'autant que le réchauffement climatique risque d'aggraver encore les épisodes d'eutrophisation: la hausse de la température va entraîner une raréfaction accrue de l'oxygène dans l'eau, et l'érosion due à des pluies plus fortes va entraîner la diffusion du phosphore et de l'azote contenus dans les sols.
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