Ce marché a vu le jour sous la colonisation française, à une époque où les canaux parcourant le delta du Mékong - certains creusés par l'homme, d'autres naturels - étaient des voies de transit stratégiques pour les marchandises.
Mais depuis, le réseau routier s'est considérablement développé et a fait chuter au fil des ans le volume des marchandises échangées à Cai Rang. Et les supermarchés se sont multipliés.
Une mutation subie de plein fouet par Nguyen Van Ut, réparateur depuis trente ans de balances mécaniques, qui servent encore ici à peser fruits et légumes.
"Je n'ai plus beaucoup de clients maintenant. Avant, ça allait, mais aujourd'hui, nombre de bateaux ont quitté le marché flottant... Beaucoup de ceux qui en avaient sont passés aux voitures sur la terre ferme", se lamente Ut sur sa petite maison-bateau, qui lui sert également d'atelier de réparation.
Seuls ceux qui ont économisé peuvent émigrer vers la terre ferme. Cette migration accompagne une industrialisation accélérée dans le delta du Mékong ces dernières années. Depuis 2006, le nombre d'employés de la construction et de l'industrie a doublé, atteignant 570.000 salariés dans ces secteurs.
Les plus pauvres, eux, ne peuvent quitter la rivière. "C'est juste un rêve pour moi, parce que je n'ai pas d'argent. J'en rêve mais c'est peu probable que cela arrive...", ajoute, en pleurs, Ut qui se verrait bien ouvrir un petit café ou vendre des tickets de loterie, loin d'ici.
Aujourd'hui, il ne reste à Cai Rang que 300 bateaux contre 550 en 2005. Le lieu continue d'être un marché de gros avec des stocks d'ananas ou de pastèques remplissant des bateaux entiers, où des grossistes de la région viennent s'approvisionner.
Village musée
Pour faire la réclame de leur chargement, les bateliers utilisent un moyen rudimentaire: ils accrochent un fruit ou légume sur la proue de leur navire. Cela participe à l'exotisme des lieux, loin de la monotonie des têtes de gondoles de supermarchés...
Les autorités communistes misent désormais davantage sur les touristes, qui sont des millions à rendre dans la région chaque année, que sur les grossistes pour maintenir le village à flot. Depuis 2016, elles considèrent le marché flottant comme un "héritage national", listé comme tel.
"Les autorités locales essayent de garder les marchés flottants en vie afin de préserver la culture et d'attirer plus de touristes", explique Nguyen Thi Huynh Phuong, de l'université de Can Tho, qui a écrit sa thèse sur les marchés flottants et le tourisme.
Au milieu des grossistes, on voit aujourd'hui de nombreux touristes négociant ananas ou pastèques à la pièce. Ils s'arrêtent aussi pour manger des nouilles traditionnelles ou boire un café dans les échoppes.
"Sans le tourisme, ce marché flottant disparaîtrait, parce que les affaires ne se portent pas très bien", constate Ly Hung, qui vend fruits et légumes ici depuis près de trente ans.
Il n'a guère d'illusion quant à la reprise de son bateau par un de ses enfants: ses deux aînés sont déjà partis en ville pour y travailler dans des usines.
Certains bateaux restent amarrés en tout temps ici, d'autres juste pour y vendre leur cargaison.
"Les jeunes ne veulent pas faire comme leurs parents et vendre de produits sur le marché flottant, parce que ce métier n'est pas très stable et qu'il est très difficile de vivre sur un bateau", explique Phuong.
Nguyen Thi Hong Tuoi, 34 ans, travaille sur le bateau familial depuis qu'elle est enfant, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Mais elle rêve d'ailleurs pour sa fille de cinq ans. "Je veux qu'elle étudie et qu'elle ait un vrai métier", dit-elle.
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