A l'aéroport de Grand-Case, seule porte de sortie d'une île coupée du monde, le hall derrière les contrôles de la police aux frontières a pris des allures d'unité pédiatrique.
Encadrés par des femmes en blouse blanche, quelques marmots trottinent et jouent à chat, sous l'oeil de mères visiblement exténuées.
Un officier des pompiers brise la sérénité de ce cocon de fortune. "Coline, il n'y aura pas d'autre avion pour partir", lance-t-il à une infirmière. "Vous leur dites de rentrer chez elles, on a fait le maximum pour aujourd'hui".
Aussitôt, les grands yeux dévoués de Coline Julié s'arrondissent, incrédules. Elle n'est pas en position de contester, mais la déception de l'infirmière déforme la douceur de son visage. "Ces mamans sont très fortes", souffle-t-elle. "Elles ne pensent qu'à leurs enfants, elles ne pensent même pas à leur vie".
Combien en a-t-elle vu passer ce jour des mères courages priant pour d'autres cieux? "Je ne peux pas vous dire, j'en ai vu tellement", lâche cette Tarnaise de 25 ans. "Les hommes restent mais les femmes raccompagnent les enfants en métropole, ou au moins sur un lieu sûr en Guadeloupe".
Il suffit de voir les grilles du minuscule aéroport une piste sommaire d'un kilomètre face à la mer - pour comprendre. Les habitants que les militaires laissent rentrer sont les plus vulnérables.
Mamies en fauteuil roulant, femmes enceintes et bambins sont pris en charge, puis dirigés vers les avions venus de Guadeloupe par le pont aérien. Les engins atterrissent remplis d'eau et de vivres, puis évacuent les plus fragiles dans la foulée.
"Gros orage"
Comment expliquer à un jeune enfant la réalité de l'ouragan Irma? Des vents de 330 km/h, qui ont couché les arbres, dévasté les maisons en tôle de l'île et arraché les toitures de certaines maisons.
"Les familles leur ont dit qu'il allait y avoir un gros orage. On essaie de ne pas leur mentir, de les accompagner au mieux, mais les mots et les images sont forcément différentes", soupire Coline.
Même autour de la piste dégagée, les carlingues retournées de quelques petits avions de tourisme attestent de la violence qui a frappé l'île.
Et comment raconter que ce chaos risque de recommencer, alors que José s'approche de l'île et est passé en catégorie quatre sur une échelle de risque météo qui en compte cinq?
Lors de ses rares moments de conversations, l'infirmière parle d'autre chose: "j'essaie de partir sur l'humour, de détendre un peu l'atmosphère, parce qu'ils n'ont pas dormi. Intérieurement, les enfants ressentent trois fois ce que nous ressentont".
Elle redoute déjà l'impact de la catastrophe naturelle sur la psyché des enfants.
Derrière la jeune femme, une collègue donne la bouchée à une discrète petite fille. Cachée derrière ses tresses, la gamine refuse de desserrer l'emprise qu'elle impose à sa peluche Mickey.
"Certaines phrases risquent de ressortir plus tard", prévient Coline. "Du type: + Maman t'inquiète pas, y a du scotch chez les voisins, on va réparer+".
Pour la nuit de samedi, l'infirmière doit s'abriter chez des amis à Mont Vernon, sur les hauteurs de l'île. Mais dès dimanche, elle prévoit de "revenir ici". Il y aura sûrement d'autres mères, d'autres enfants à assister.
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