Depuis un essai nucléaire nord-coréen d'une puissance sans précédent dimanche dernier, les Etats-Unis, la Corée du Sud, le Japon et l'Union européenne appellent à accentuer la pression sur le régime de Pyongyang.
Lundi, le Conseil de sécurité des Nations Unies doit se prononcer sur l'adoption d'une résolution présentée par Washington imposant un embargo pétrolier contre la Corée du Nord et le gel des avoirs de son dirigeant Kim Jong-Un.
Alors que la Chine, principale alliée de Pyongyang, a laissé entendre qu'elle pourrait approuver de nouvelles sanctions, Vladimir Poutine, dont le pays est doté du droit de veto au Conseil de sécurité, a passé la semaine à en critiquer le principe, sans se prononcer explicitement sur le texte américain.
Les Coréens du Nord "mangeront de l'herbe mais n'abandonneront pas ce programme (nucléaire) s'ils ne se sentent pas en sécurité", a-t-il lancé mardi, appelant au dialogue avec le régime de Pyongyang, lors d'un sommet à Xiamen, en Chine, tout en condamnant le dernier essai nord-coréen.
Pour Andreï Lankov, professeur à l'Université Kookmin, à Séoul, et directeur du think-tank Korearisk.com, les motivations du Kremlin sont "complètement géopolitiques et cyniques".
Aux yeux de Moscou, protéger Pyongyang permet de maintenir un statu quo préférable à une résolution de l'ONU pouvant provoquer la colère de la Corée du Nord, estime cet expert qui a vécu en Corée du Nord.
Si des sanctions mènent à des frappes punitives, la Russie, qui partage une frontière avec la Corée du Nord, se retrouverait avec un voisin en plein chaos. Et en cas de changement de régime, le Kremlin devrait traiter avec un allié pro-américain sur son flanc oriental alors qu'il dénonce déjà la présence de l'Otan à ses frontières occidentales
"Ce scénario ne plaît ni à la Chine, ni à la Russie", résume Andreï Lankov.
Rempart contre Washington
Une autre conséquence potentielle d'une escalade militaire, toute aussi inquiétante pour Moscou, serait une crise humanitaire, relève Alexandre Jébine, directeur du Centre des études coréennes, à l'Académie russe des Sciences.
"Un conflit militaire dans la péninsule aurait des conséquences désastreuses pour les Coréens et la région entière", notamment la Corée du Sud, relève l'expert.
"Où iront vivre ces 70 millions d'habitants?" s'interroge-t-il en référence à la population des deux Corées, soulignant qu'en cas d'utilisation de l'arme nucléaire, la radioactivité affecterait aussi "gravement la Russie et la Chine".
Ces scénarios apocalyptiques sont considérés comme peu probables, mais pour certains experts, Vladimir Poutine peaufine avec cette crise son image de négociateur hors-pair et de rempart contre les ambitions belliqueuses de Washington, à quelques mois de l'élection présidentielle de mars 2018.
Au cours des derniers jours, M. Poutine a rencontré le président sud-coréen Moon Jae-In et le Premier ministre japonais Shinzo Abe, et il a eu des entretiens lors du sommet des Brics qui a réuni à Xiamen les puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
En se plaçant comme arbitre entre un Donald Trump va-t-en-guerre et un Kim inflexible, il se présente en voix de la raison. "Il ne faut pas céder aux émotions et acculer la Corée du Nord", a-t-il insisté, appelant au "sang-froid".
De nombreux pays considèrent ainsi la Russie comme "un moyen de communication" avec Pyongyang, explique Andreï Baklitskï, du centre de réflexion indépendant PIR. Un atout que Moscou pourrait utiliser comme "joker", affirme-t-il.
Le président russe, qui refuse toute reconnaissance du statut nucléaire de la Corée du Nord, préconise le dialogue, sur la base de la feuille de route définie par Moscou et Pékin. Cette dernière implique l'arrêt simultané des essais nucléaires et balistiques nord-coréens d'une part, et celui des manoeuvres militaires conjointes des Etats-Unis et de la Corée du Sud d'autre part.
Pour Fiodor Loukianov, analyste politique proche du Kremlin, l'enjeu est principal pour la Russie: le pays qui réussira à résoudre cette crise politique et forcera Pyongyang à faire quelques pas en arrière deviendra "le plus influent" en Asie.
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