Sous un soleil de plomb en cette fin août, une vingtaine de personnes ramassent des pommes de terre: sur le champ, des détenus d'humeur joyeuse côtoient des encadrants et leurs jeunes enfants. Olivier, ancien agriculteur qui purge les derniers mois de sa peine de sept ans, raccompagne les bambins à la ferme en tracteur, fier comme Artaban.
"La prison, c'est un endroit qui broie. Ces hommes ont payé leur faute, maintenant la meilleure chose que la société puisse faire est de les aider à se reconstruire pour qu'ils soient bien intégrés et qu'ils aient une vie normale", explique M. De Villeroché, dont l'association est rattachée à Emmaüs.
Depuis 2003, environ 800 prisonniers, condamnés pour la plupart aux assises (meurtre, viol, braquage à mains armées...), ont pu quitter leur cellule et passer quelques mois dans cette grande ferme picarde nichée dans un vallon, tel un "sas" avant leur retour "à l'extérieur", comme ils le disent.
Ils viennent majoritairement d'établissements des Hauts-de-France, après validation de leur demande par l'Administration pénitentiaire et le juge d'application des peines (JAP).
Sur place, ils bénéficient d'un contrat d'insertion à mi-temps de 21 heures de travail, payé 680 euros, dont ils reversent 280 à la structure qui les loge et les nourrit. Libre à eux de choisir entre maraîchage, élevage, travaux de réfection des bâtiments ou en cuisine.
"On ne fait pas du maraîchage pour s'occuper, mais parce qu'on a 120 paniers à livrer par semaine, il faut que ça envoie!", fait remarquer Simon Yverneau, 34 ans, un des sept salariés de l'encadrement, alors que la moitié de la production, étiquetée "bio", est vendue à Montreuil, près de Paris.
Clef de la chambre
12H15, l'heure du déjeuner. Au bout de la grande tablée, un détenu demande de faire silence. Ils s'agit d'accueillir dignement un nouveau venu, Joël. Celui-ci se lève: "je viens de la prison de Bapaume et je suis bien content d'être ici, ça va me changer!". Difficile de connaître les crimes commis par les détenus: "pas d'évocation du passé" lit-on sur la grande affiche dictant les règles de vie.
Les prisonniers restent généralement un peu plus d'un semestre à Moyembrie: suffisant pour s'y adapter, mais il ne faut pas s'éterniser car il s'agit de préparer la sortie d'écrou, loin du "cocon" et des règles bien calibrées de la ferme.
"Regardez le cadre de vie, c'est magnifique!" s'enthousiasme Ali, 33 ans, condamné à six ans de prison ferme, ouvrant les volets de sa chambre, avec vue sur les chèvres lui offrant le lait pour le fromage qu'il a appris à confectionner.
"Ici, c'est mon espace intime, il n'y a pas de fouilles ou les bruits de la prison", remarque-t-il, lui qui dispose des clefs de sa chambre et peut recevoir femme et enfants le week-end.
Mais la liberté n'est pas totale: en cas de dépassement de la limite des 25 hectares de la propriété, "c'est considéré comme une évasion", rappelle M. De Villeroché.
Environ 10% des détenus passés par Moyembrie retournent aussi à la case prison pendant leur séjour, certains ne parvenant pas à s'habituer aux règles de la vie en collectivité.
Cet environnement apaisant n'empêche pas non plus la crainte de l'après: "le plus marquant ici est le calme et la beauté du lieu. La sortie et la fin du contrat me font peur, j'ai une boule d'angoisse tous les matins au réveil en y pensant", confie Michel, 51 ans, visage marqué par la rue, profitant du silence quasi absolu après avoir travaillé toute la matinée dans les serres.
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