"Nous ne pensions pas rentrer chez nous vivants ce jour-là", raconte-t-il à l'AFP en désignant une bobine miraculée. "S'ils avaient découvert que nous avions caché des films, ils nous auraient tués".
Sauvés de justesse, les films sont aujourd'hui en cours de numérisation en vue de leur diffusion auprès du grand public.
Tenants d'une interprétation hyper-conservatrice de l'islam, les talibans avaient interdit tous les loisirs populaires, y compris la musique. Durant leur règne (1996 à 2001) les cinémas avaient été fermés et les postes de télévision détruits.
Mais ils n'ont pu mettre la main sur les quelque 7.000 précieux films répartis par M. Ali et ses collègues dans les locaux de l'Institut à Kaboul.
"Nous étions pétrifiés, mais grâce à Dieu nous avons réussi à sauver les films et maintenant cette culture est vivante", se félicite le sexagénaire, qui travaille dans cette institution publique depuis 36 ans.
Deux décennies plus tard, ces bobines, sur lesquelles figurent notamment des films oubliés et des images de l'Afghanistan avant qu'il ne glisse dans la violence, sont en cours de numérisation en vue de leur diffusion au grand public.
Le projet redonnera vie à de très populaires films afghans aux intrigues basées sur l'amour. Il dévoilera tout un pan de l'histoire de leur pays aux plus jeunes qui n'ont connu que la violence, espèrent ses promoteurs.
Faux plafonds
La numérisation des films, des dizaines de milliers d'heures au total, est coordonnée par le directeur général de l'Institut, Mohammad Ibrahim Arify.
"Les bobines étaient camouflées dans des boîtes portant le nom de films indiens ou occidentaux, ou dans des barils enterrés dans le sol", raconte-t-il.
"Beaucoup d'entre elles étaient stockées dans des pièces bloquées par des murs en brique ou dans de faux plafonds. Ils ont utilisé toutes sortes d'astuces", poursuit-il.
Le fonds comprend 32.000 heures de film en 16 mm et 8.000 heures de film en 35 mm, mais la classification est toujours en cours. Des particuliers y contribuent en apportant des films qu'ils ont eux aussi dissimulés pendant la période talibane.
"Je ne peux pas dire si on finira avec 50.000 ou 100.000 heures", sourit M. Arify, désignant les étagères où s'empilent les boîtes de métal qui abritent les bobines.
La numérisation elle-même prend du temps. Les bobines doivent d'abord être nettoyées pour enlever la poussière et supprimer les rayures.
Puis le film est projeté, son nom, son réalisateur et son numéro de bobine catalogués, et le film est classé soit comme fiction soit comme documentaire.
Puis il passe dans une machine qui procède à la numérisation plan par plan. "Si c'est un film long, le processus peut prendre jusqu'à 4 jours. Si ce sont des images d'actualité, alors juste une journée", explique Fayaz Lutfi, un employé de 27 ans.
Le projet a été lancé cette année et M. Arify espère qu'il sera achevé en deux ans.
"Nous sommes très fiers de ce que nous faisons car nous ressuscitons la culture défunte de l'Afghanistan en numérisant son histoire visuelle", souligne-t-il.
Projections au village
Financés par l'Etat, les films afghans des années 70 étaient extrêmement populaires. Tournés en langues farsie et pachtoue, ils parlaient d'amour, de culture ou d'amitié.
Les images documentaires couvrent la période allant des années 20 à la fin des années 70, avant l'invasion soviétique, la guerre civile, le règne des talibans et finalement leur renversement par les Américains en 2001 et la guerre qui fait rage depuis.
L'ambassade américaine de Kaboul a récemment accueilli une projection d'images de l'Afghanistan d'antan, prospère et très différent de ce qu'il est aujourd'hui.
On pouvait y voir des familles pique-niquer gaiement dans les parcs de la capitale, des femmes en jupe courte. Et aucune trace des hideux murs de béton anti-explosion aujourd'hui omniprésents en ville.
"Cela m'a ému de voir ces images car je n'ai que des mauvais souvenirs de mon pays. Je n'ai pas eu la chance de vivre durant cette période", note un spectateur, Arif Ahmadi, 34 ans, après la projection.
"Dans d'autres pays, les gens vont de l'avant, mais si vous regardez notre passé, nous sommes en train de reculer", déplore-t-il.
L'Institut espère que les vieux films intéresseront des diffuseurs. Un groupe de médias privés prévoit aussi de créer une chaîne en ligne.
L'Institut espère également organiser des projections dans des villages isolés, privés d'accès à la télévision ou internet, en dépit du risque que constituent de tels déplacements dans un pays contrôlé en grande partie par les insurgés.
A la vieille génération, les films rappelleraient un passé plus heureux, tandis que pour les jeunes ils pourraient susciter de l'espoir pour l'avenir.
"Nous prendrons le risque d'aller aux quatre coins du pays. Nous voulons que nos enfants sachent comment les Afghans vivaient autrefois", souligne M. Arify.
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