Pour confectionner cette douceur, dont la première mention remonte à 1344, c'est le fruit entier qui est utilisé, et non son seul jus, comme dans les gelées, explique Anne Dutriez, 37 ans, désormais seule détentrice du secret de production. Le tout est garanti sans pépins.
La légende raconte qu'un jour qu'il ne supportait plus avoir des grains de groseilles dans les cavités dentaires, le duc de la ville, Robert Ier, exigea que l'on épépine les fruits avant d'en faire une confiture. Outil le plus adapté à l'époque pour répondre à la demande, la plume d'oie est choisie - et toujours utilisée plus de six siècles plus tard.
Si l'on peut douter de la véracité du récit - le duc Robert était à peine né en 1344 - elle fait partie, au même titre que la plume, de l'histoire d'une confiture dont la confection n'a pas varié d'un pouce.
Il faut tout d'abord récupérer les groseilles. Anne Dutriez, qui a repris l'entreprise de confitures "A la lorraine" en 2000, en achète environ 400 kilos à des particuliers de la Meuse au mois de juin. Chaque groseille est ensuite isolée, "en laissant 2mm de tige".
Puis arrive la plume. Le geste est précis, et nécessite "au moins deux ou trois saisons" de pratique pour être effectué rapidement, explique la jeune femme, joignant le geste à la parole. D'une main, elle tient la groseille, introduit la pointe de la plume en son centre et en ressort les pépins - environ 7 à 8 par fruit - sans altérer la chair, avant de refermer la groseille.
Si plusieurs dizaines de femmes épépinaient les groseilles en 1974, quand le grand-père d'Anne Dutriez a racheté le secret de fabrication de la confiture, elles ne sont plus que cinq à venir, trois semaines durant, enlever précautionneusement chaque pépin. Au début du XXe siècle, elles étaient 400.
Indicible secret
Afin d'éviter que le moindre pépin ne se glisse malicieusement dans la confiture, chaque grain est réexaminé au moment de passer dans les grandes casseroles - vieilles de plus de 100 ans.
"J'essaye d'en trouver des similaires, mais c'est impossible !", explique Mme Dutriez, qui fait mijoter ses confitures dans les mêmes ustensiles que ceux utilisés à la fin du XIXe siècle par Georges Amiable, l'homme qui transmit le secret à son grand-père.
A l'arrivée, les petits pots de 85g sont vendus 18 à 20 euros. En transparence, on y devine les fruits entiers, perceptibles en bouche.
Quant à la recette de ce "caviar de Bar-le-Duc", on n'en saura rien: seules Anne et sa soeur connaissent le secret de fabrication. Qu'elles n'entendent pas pour autant breveter: ce serait assumer qu'il devienne public dans 20 ans - impensable pour la famille.
D'autres ont bien essayé de se lancer sur ce créneau de niche. Mais sans le secret, la concurrence s'est cassée les dents. "Un a essayé du temps de mon grand-père, deux depuis que j'ai repris en 2000. Mais ils ont fini par fermer", confie Anne Dutriez.
Elle espère le transmettre un jour à l'un de ses deux fils, qui semble intéressé. "Mais il n'a pas encore passé l'adolescence, alors on verra !", sourit-elle.
D'ici là, l'entreprise, qui produit de 5.000 à 6.000 pots par an - contre 30.000 en 1974 - espère croître, et dépasser ses horizons en exportant au delà des clients étrangers habituels que sont l'Allemagne et les Etats-Unis.
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