Il est à peine 18H00 (24h00, à Paris) mais la nuit tombe déjà sur le port autonome de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Dans la halle principale c'est l'effervescence: un premier bateau empli de gendarmes vient de larguer les amarres. Il faut maintenant charger l'Archipel I, petit ferry touristique à la coque rouge, qui embarque plus d'une centaine de pompiers et d'hommes de la sécurité civile.
Avant de quitter la terre ferme, certains blaguent en prenant une dernière douche, tandis que d'autres sont scotchés aux dernières infos sur leurs portables. "Apparemment, il y a des pillages à Saint-Martin", répète un jeune homme, à ses collègues.
"Il faut y aller là !", lance le capitaine Schemseddin Hermi, de l'unité d'instruction d'intervention de la sécurité civile numéro un. A-t-il dormi depuis son départ mercredi à 16H00 de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) ? "Pas vraiment, mais il y a toujours l'adrénaline dans ce genre de moments. On a hâte d'y aller pour aider".
A 34 ans, l'officier a déjà l'expérience des cyclones: en 2013, il était aux Philippines après le passage du typhon Hayian, qui a dévasté les îles du Pacifique et fait des milliers de morts. Comme lui l'ouragan Irma, qui a ravagé les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, a atteint la catégorie cinq, la plus violente sur l'échelle météorologique.
"J'ai lu que ça a été encore plus intense cette fois... J'espère qu'on fera le moins de secours à la personne possible", confie l'homme, en redoutant le nombre de victimes.
Il chasse rapidement cette pensée et se laisse absorber par la logistique. Les 72 hommes de son unité acheminent avec eux "du matériel de bâchage, de tronçonnage. Et le plus important, c'est l'unité de désalinisation". Un énorme pavé de 2,5 tonnes, qui voyage séparément à bord d'une frégate de la marine nationale.
"L'eau potable, c'est vital. Pour les populations comme pour les équipes", souligne-t-il.
'Fiers de servir'
Ca n'empêche pas les pompiers d'embarquer des packs de bouteille en grande quantité. Le mot d'ordre est clair: avec leurs vivres et leurs groupes électrogènes, les secouristes doivent pouvoir être autonomes pendant 10 jours et résister à l'autre ouragan qui s'apprête à sévir sur les Antilles: Jose.
Depuis le passage d'Irma et ses vents à 300 km/h, les communications sont très difficiles à Saint-Martin comme à Saint-Barth. Les informations arrivent au compte-gouttes: quatre morts sont recensés pour l'instant, les scènes de destruction sur les réseaux sociaux dessinent un paysage post-apocalyptique, mais les secouristes ne savent pas vraiment à quoi s'attendre.
"Partir sur une catastrophe comme ça, c'est à la fois l'excitation et l'appréhension", résume le lieutenant-colonel Olivier Grosjean des sapeurs pompiers de Paris. "On est fier de servir à quelque chose, mais on a toujours peur de trouver des victimes".
Pendant que le quinquagénaire s'affaire aux derniers préparatifs, ses hommes font grimper quatre chiens à bord de l'Archipel I. "Couché, couché, reste, pas bouger"... Les bergers allemands s'acclimatent au sol qui tangue, pendant qu'à quelques mètres de là, un chien errant guadeloupéen mange dans la main des derniers pompiers encore à terre.
Avant d'atteindre les îles du Nord, il va falloir affronter une nuit entière sur l'océan et le mal de mer qui va avec. Parmi les 800 secouristes dépêchés, d'autres ont eu plus de chance et éviteront les vomissements, grâce au pont aérien tout juste mis en place vers Saint-Martin.
Mais face aux désagréments, c'est l'excitation compense: "On se console en se disant qu'au bout, ça fait du bien de faire du bien. Ca fait 35 ans que j'attends de partir sur un truc de cette ampleur", confie l'officier, plus habitué aux incendies qu'aux cyclones.
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