"Je disais +avion+ avant de dire +maman+, selon ma mère", raconte aujourd'hui à l'AFP cette dame souriante, qui ne fait pas son âge.
Celle qui n'était alors qu'une jeune paysanne passionnée d'aviation, avec des origines familiales au pays basque français, se remémore les péripéties endurées avant de pouvoir rallier Londres.
"Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu voler", poursuit-elle.
A peine âgée de 16 ans, elle parvient à convaincre ses parents de la laisser quitter Rio Bueno, localité du sud du Chili, pour s'installer à la capitale Santiago afin d'apprendre à voler. Quitte à mentir sur son âge.
Les instructeurs de l'Aéro-club de Santiago refusent de l'instruire mais elle rencontre le Français César Copetta -devenu en 1910 le premier homme à voler au Chili- et transforme grâce à lui son rêve en réalité.
A 20 ans et avec à peine une cinquantaine d'heures de vol à son actif, cette femme au caractère bien trempé est engagée comme sergent-pilote par le consulat de la France Libre à Santiago, en cachant son astigmatisme.
Elle se rend ensuite à Buenos Aires et embarque sur un bateau pour l'Angleterre. Mais une fois sur place, rien n'est simple. Outre la barrière de la langue, les différences culturelles et les restrictions liées à la guerre, Margot Duhalde ne peut pas encore voler: les premiers temps, elle doit se contenter de s'occuper des malades et d'aider les mécaniciens.
Piloter à l'aveugle
Grâce à l'intervention d'un pilote français rencontré au Chili, elle rejoint finalement l'Air Transport Auxiliary (ATA), organisation au service de la Royal Air Force, pour assurer le transfert des avions entre les usines et les aérodromes, dont le célèbre Spitfire, l'un des chasseurs de combat les plus utilisés par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale.
"Notre mission était de dégager les usines, le plus vite possible, pour que les Allemands ne les bombardent pas. En une journée, nous pouvions piloter cinq sortes d'avions différents”, confie la dame au regard perçant, que ses collègues anglais surnommaient "Chile" (Chili).
Ces "ferry pilots" de l'ATA recevaient des formations théoriques sur les appareils à convoyer, qu'il devaient ensuite manier en s'appuyant uniquement sur un manuel.
Margot Duhalde "convoie ainsi plus de 1.500 appareils anglais ou américains et de tous types, chasseurs, bombardiers, avions de transport et d'instruction", écrit la Revue historique des armées françaises dans un article intitulé "Femmes et pilotes militaires dans l'armée de l'Air".
"Je crois que nous étions en danger tous les jours, parce que nous pilotions des avions que nous ne connaissions pas", convient Mme Duhalde.
Volant à l'aveugle sans radar, elle doit également éviter les énormes ballons placés par l'armée anglaise à 5.000 pieds d'altitude au-dessus des villes et installations militaires pour gêner les avions allemands.
- Une dizaine d'accidents -
Elle accumule ainsi des milliers d'heures de vol et survit à une dizaine d'accidents.
"Maintenant, ça me fait peur. Quand je suis couchée, parfois je n'arrive pas à dormir: je me souviens de certains des accidents que j'ai eus et ça m'effraie!”, raconte-t-elle.
Pour réaliser son rêve de voler, Margot Duhalde a dû se battre toute sa vie contre les préjugés à une époque où être une femme pilote relevait quasiment de la chimère.
"Le machisme était plus puissant culturellement qu'aujourd'hui. Une femme dans l'aéronautique, qui plus est dans des activités militaires, c'était vraiment rare", souligne Eduardo Werner, chercheur du Musée national de l'aéronautique et de l'espace au Chili.
Mais "je ne me suis jamais sentie rejetée, même si je savais qu"il y avait une rivalité entre les pilotes femmes et les hommes", confie l'intéressée. "Les hommes disaient toujours que les femmes n'allaient pas être capables de piloter les avions, mais ils devaient ravaler leur fierté, parce qu'en réalité nous volions aussi bien qu'eux!", se rappelle-t-elle.
En plus d'être une des premières femmes pilotes au Chili, Margot Duhalde, qui a volé pour la dernière fois en 2007 (à 86 ans), fut la première contrôleuse aérienne de son pays et également pilote de ligne.
Avec ses actes héroïques, cette mère d'un enfant a fait l'unanimité: elle été décorée par l'Angleterre, le Chili et la France, où elle a reçu la Légion d'honneur.
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