Chaque soir, sous les moulures élégantes du Peace Hotel, bijou Art déco édifié en 1929, ces musiciens rejouent les mélodies inspirées des "Années folles", un bain de nostalgie dans une métropole en proie à une modernisation exacerbée.
Les six membres du Old Jazz Band sont âgés en moyenne de 82 ans, ce qui leur vaut le surnom de "groupe de jazz le plus âgé du monde" --un titre naguère homologué par le Livre des records: l'aîné souffle encore dans sa trompette avec entrain malgré ses 97 printemps... et le plus jeune a 63 ans.
"Je pratique le jazz depuis au moins quatre décennies", raconte M. Li d'une voix douce, dans un entretien à l'AFP. "Je me suis procuré un saxophone dans les années 60 et c'est toujours celui avec lequel je joue aujourd'hui", sourit-il.
Né au cours des turbulences qui ont suivi l'invasion du pays par l'armée japonaise, le saxophoniste a connu les vicissitudes de la guerre, du régime maoïste et des réformes économiques des années 1980.
"C'est après ces réformes que j'ai commencé à me produire sur scène", se souvient M. Li, réajustant son noeud papillon rouge et sa veste d'un blanc étincelant avant son concert vespéral.
"Jouer en secret" sous Mao
Le développement du jazz en Chine a épousé l'histoire tumultueuse du pays.
Entre la fondation de la République populaire par Mao Tsé-toung en 1949 et l'ouverture du pays par le dirigeant Deng Xiaoping à la fin des années 1970, "il était impossible de jouer du jazz, pour des raisons politiques", soupire Li Minsheng.
Pour pratiquer ce genre musical jugé "contre-révolutionnaire" par les autorités, "je m'exerçais en secret à la maison, jouant pour moi-même", précise le vieil homme.
Pourtant, dès les années 1920, Shanghai et ses dynamiques concessions administrées par les puissances occidentales avaient acclimaté le jazz en Chine, avec l'arrivée de musiciens américains recrutés pour animer les soirées des "night clubs".
Le batteur américain Whitey Smith, en particulier, avait très tôt tenté d'adapter les mélodies jazz saccadées au folklore local pour ne pas effaroucher le public chinois du luxueux "Hotel Majestic": il se targuait d'avoir "appris à la Chine comment danser" sur ces musiques d'avant-garde.
En 1934, le premier orchestre composé uniquement de musiciens chinois s'en inspirait pour mêler rythmes d'outre-Pacifique et romances traditionnelles, selon l'universitaire Andrew Field, expert de la période.
A la même époque, au Peace Hotel, qui domine la monumentale artère du Bund arrosée par le Huangpu, des orchestres de jazz se produisaient régulièrement dans un bar aménagé à la manière d'un pub anglais, avec de somptueux panneaux de bois sombre. Ces soirées étaient tellement réputées qu'on appelait le lieu le "Jazz Bar".
L'invasion japonaise, la guerre civile puis le départ des étrangers sous la férule communiste mirent fin à cet âge d'or, avant que le jazz shanghaïen soit définitivement mis en sourdine par les années de carême de la "Révolution culturelle".
"Beaucoup de chemin encore"
Depuis les années 1980, c'est dans ce même bar du Peace Hotel, rénové avec goût, que le "Old Jazz Band" tente tous les soirs de ressusciter ce prestigieux passé musical.
En plus de trois décennies, le "Old Jazz Band" s'est taillé une jolie réputation: les ex-présidents américains Bill Clinton et Ronald Reagan sont venus l'écouter, et M. Clinton, joueur de saxo à ses heures, avait même rejoint les musiciens sur scène.
Leur spécialité: le "soft jazz", avec une tonalité qui se veut typique de Shanghai.
"Le jazz s'est imposé en Chine très progressivement. Après les réformes des années 1970, l'influence du jazz occidental contemporain a été très forte", confie Li Minsheng, mis en avant par les autres membres du groupe pour s'exprimer en leur nom.
"On regardait les prestations des musiciens occidentaux, on les étudiait pour perfectionner notre musique. Mais bien entendu, par rapport à d'autres scènes de jazz dans le monde, on a encore beaucoup de chemin à accomplir (ici en Chine)", sourit-il.
Signe cependant du vif regain d'intérêt du public chinois pour le jazz de qualité, le célèbre club new-yorkais Blue Note a ouvert en 2016 à Pékin, au voisinage de la place Tiananmen, un luxueux lieu de concert accueillant des formations réputées.
Au terme d'une longue carrière, M. Li se sent-il prêt à prendre sa retraite? "De façon générale, il y a des limites d'âge pour les cuivres", reconnaît-il, tout en assurant que l'enthousiasme constant du public lui donne l'énergie de continuer. "C'est ma fontaine de jouvence".
A LIRE AUSSI.
Les touristes chinois redécouvrent Paris, à la recherche d'authenticité
Un portrait de Mao par Warhol vendu 12,7 millions de dollars
En Chine, une maison de thé résiste à l'infusion de la modernité
Salon de Shanghai: les constructeurs impuissants face aux sosies chinois
La Chine en force à Davos, face aux leaders d'un monde troublé
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.