"C'est comme le quartier, mais en mieux", résume Ali, assis sous la "Canopée", gigantesque toit d'acier et de verre imitant les ondulations d'une feuille qui signe la récente rénovation architecturale du lieu. Le jeune homme de 27 ans, d'origine sénégalaise, vit "dans une barre" à Grigny, un quartier sensible de l'Essonne.
"Ici, c'est plus beau !", renchérit Myriam, 18 ans, de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Jean déchiré, brassière en résille et rouge à lèvres écarlate, la jeune fille y vient pour les magasins - on compte pas moins de 150 enseignes -- et "manger au resto pas cher" dans l'un des nombreux fast-foods.
La tenant nonchalamment sur ses genoux, Naijim, en casquette-survêt-baskets siglés, avoue qu'ils ne se connaissent que depuis quelques heures. "On s'est rencontré devant Pizza Hut", dit-il. "Les Halles, c'est aussi un bon plan pour la drague", confie le jeune homme de Seine-Saint-Denis et qui, à 17 ans, explique être "déscolarisé".
En dehors de ce quartier et parfois de l'avenue des Champs-Elysées, ces deux jeunes ne connaissent rien de Paris. "Ailleurs, c'est mort, y'a que des petits bourgeois parisiens", lâche Naijim. "On n'est pas de la même catégorie que ces gens-là, eux ils sont riches", tranche Myriam.
Des milliards d'euros ont été investis dans la rénovation urbaine par les pouvoirs publics pour désenclaver les quartiers sensibles proches de la capitale mais, selon le sociologue Fabien Truong, les jeunes adultes issus des classes populaires de banlieues s'estiment toujours "illégitimes" à Paris.
"De l'autre côté du périph', barrière symbolique, ils se sentent indésirables. Seule une partie de la capitale leur paraît socialement et culturellement accessible", explique l'auteur de "Au-delà et en deçà du périphérique".
- 'Ecrasés' par Paris -
Ancien grand marché ravitaillant les Parisiens jusqu'en 1969, le quartier des Halles situé sur un noeud de transports publics est devenu au fil du temps un carrefour de la culture urbaine et un point de ralliement pour les jeunes des cités qui y retrouvent des codes familiers. "La musique, les fast-foods, les marques dans les vitrines correspondent à leurs références", explique M. Truong.
Mais ailleurs, ces jeunes "ne se sentent pas à l'aise", ajoute cet ex-enseignant de Seine-Saint-Denis, qui évoque un phénomène d'"écrasement du bâti" : "les immeubles haussmanniens, les monuments, ils se sentent écrasés par toute cette beauté et la charge historique", analyse-t-il.
"En même temps, ils ont envie d'être là car depuis tout petits on leur dit que c'est ça +le désirable+. Pour eux, +le désirable+, c'est Saint-Germain-des-Prés", quartier historique du monde littéraire abritant désormais des boutiques de luxe. "Mais une fois qu'ils y sont, ils se sentent nuls et pas bien accueillis", souligne M. Truong.
Une fois à Paris, certains évitent de "trop faire banlieue": "Je fais un effort, je m'habille pas trop en mode +cité+", explique Myriam. "Déjà qu'on nous regarde comme si on était des pauvres gens dès qu'on dit qu'on vient de banlieue...", renchérit Sarah, 16 ans, lycéenne à Corbeil-Essonnes. "Et puis ici, je peux mettre une jupe alors qu'à la cité, direct, ça va parler", dit-elle en précisant qu'elle a "six grands frères".
Pour Colombe Brossel, adjointe à la maire de Paris en charge des questions relatives à l'intégration et la politique de la ville, l'intégration des jeunes de banlieue "n'est pas une question d'ouverture de frontières mais de comment ils s'approprient les choses".
"Il y a un certain nombre de jeunes des quartiers populaires qui n'ont jamais vu la Tour Eiffel, or elle leur appartient", regrette-t-elle, précisant que cela concerne également des jeunes des quartiers populaires de la capitale.
La réussite scolaire ou professionnelle peut être un déclencheur, juge Fabien Truong.
Alexandre, 28 ans, designer, originaire de Champigny-sur-Marne, raconte être "sorti de (s)a banlieue "grâce aux études". "Mais au fond, si tu viens de banlieue, tu te sentiras jamais vraiment parisien. On n'a pas la même histoire".
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