Le 9 août, le tribunal administratif de Strasbourg avait ordonné à cette commune du Haut-Rhin, comptant 2.300 habitants, de retirer 65 silhouettes en contreplaqué de femmes et 60 silhouettes de divers accessoires, installées dans le cadre d'une "année de la femme".
Pour le collectif féministe des "Effronté-e-s", ces silhouettes de femmes minces et aux cheveux longs, en escarpins même lorsqu'elles sont représentées enceintes, en maillot de bain ou chargées de sacs de shopping, voire dans des poses lascives, sont illégales.
L'affaire arrive donc, sur appel de la municipalité, devant trois magistrats de la plus haute juridiction administrative de France, siégeant sous une majestueuse allégorie de la justice, peinte sous les traits d'une femme en toge, plume à la main.
Pour Bertrand Périer, avocat de la municipalité, les fameuses silhouettes relèvent de la "liberté artistique", et le Conseil d'Etat n'a pas à se faire "l'arbitre des élégances et du bon goût". Il "conteste avec la dernière énergie que ces silhouettes aient porté atteinte à la dignité humaine".
'Violence symbolique'
C'est ce qu'affirme au contraire Me Lorraine Questiaux, qui représente le collectif des Effronté-e-set: il s'agit pour elle d'une atteinte "indubitable" à la dignité dans ces représentations "stéréotypées" et ces postures pour certaines clairement "sexuelles".
Elle plaide le "lien entre la violence symbolique qui est omniprésente dans l'espace public" et les violences physiques dont les femmes sont victimes. Et appelle le Conseil d'Etat à faire évoluer sa jurisprudence, en élevant le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes au rang des "libertés fondamentales".
"Il y avait moyen de faire des silhouettes de femmes actives, créatrices, travailleuses", argumente Fatima Benomar, militante du collectif féministe.
Les silhouettes de la discorde ont été retirées des espaces publics, mais la mairie a proposé aux habitants de les "adopter", ce que nombre d'entre eux ont fait, en les installant sur les balcons, dans les jardins, accrochées aux fenêtres.
"Je ne regrette rien", dit le maire sans étiquette Paul Mumbach. Pour "dynamiser" la vie du village, il choisit chaque année un "fil rouge" avec diverses animations: il y a ainsi eu à Dannemarie une "année de l'audace", une "année du vélo" ou une "année de la beauté", en 2013. "J'avais invité Miss France", explique-t-il, suscitant des rires parmi les militantes féministes présentes dans la salle.
L'élu dit que pour cette "année de la femme" en 2017, la commune a aussi récompensé des bénévoles et donné à une rue le nom de Monique Wittig, romancière et essayiste féministe native de Dannemarie. Paul Mumbach reconnaît toutefois que "quatre ou cinq" silhouettes suggestives peuvent "se discuter."
Les Fleurs du mal
L'une d'elles représente une femme assise avec les jambes largement écartées. "Dans ma tête c'était Patricia Kaas" interprétant une chanson "de cabaret", se défend Dominique Stroh, première adjointe, conceptrice du projet.
Me Périer estime que le Conseil d'Etat prendrait une direction "dangereuse" s'il commençait à examiner les silhouettes une à une. L'avocat fait le parallèle, "toutes choses égales par ailleurs", avec les juges qui avaient interdit en 1857 six poèmes du recueil "Les Fleurs du mal" de Charles Baudelaire.
La partie adverse répond en invoquant les travaux de Pierre Bourdieu sur les mécanismes de domination, et cite Simone de Beauvoir.
Pascale Fombeur, qui préside l'audience, tente de recadrer le débat. Elle rappelle que le Conseil d'Etat a une mission somme toute "modeste", parce qu'il a pas été saisi dans le cadre d'une procédure d'urgence bien particulière, dite de "référé-liberté".
Il doit dans ce cadre examiner à la fois s'il y a "urgence" à agir, et s'il est confronté à une atteinte "grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale".
La décision doit être rendue d'ici vendredi soir.
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