"Au début je pense qu'on s'est tous dit : +Si le cinéma ça marche pas, au pire il y a la ferme+", sourit Hubert Charuel, un sandwich à la main, assis dans la pénombre de la salle à manger de la ferme de ses parents située aux Granges, hameau du village agricole de Droyes (Haute-Marne).
C'est ici que la plupart des scènes du film ont été tournées, là aussi que ce fils unique a grandi, aidant à la traite les "gaudelles", les "vaches" dans le patois haut-marnais.
Mais gérer l'exploitation n'a jamais vraiment été une option. "Je n'ai jamais grandi en me disant que j'allais reprendre la ferme", avoue le réalisateur, 32 ans, qui s'était brièvement imaginé vétérinaire avant de se découvrir littéraire.
Du paysan trapu, ce grand garçon svelte au rire franc n'a d'ailleurs pas l'allure.
Diplômé de la Fémis en production en 2011, il met vite le cap sur la réalisation : à son actif, trois courts métrages remarqués et ce premier film, tout juste terminé pour recevoir un accueil chaleureux à la dernière Semaine de la critique de Cannes.
Dimanche, le film a obtenu le "Valois de diamant" au 10e Festival du film francophone d'Angoulème, et Swann Arlaud, rôle principal, s'est vu décerner le prix du meilleur acteur.
Dans une fiction qui fait écho au quotidien éprouvant des agriculteurs, Hubert Charuel met en scène Pierre - Swann Arlaud -, un éleveur de vaches laitières trentenaire qui organise ses journées autour de ses bêtes, sa soeur vétérinaire - Sara Giraudeau - et ses parents. Alors qu'une épidémie se répand en France, il est prêt à tout pour sauver son troupeau...
"Avec Hubert tout s'est fait assez vite, on s'est compris. Il m'a dit +le personnage, c'est toi... et les vaches+" explique Swann Arlaud, d'abord "en stage chez des cousins" du réalisateur pour apprendre à traire et soigner les vaches.
"L'idée était de sortir du naturalisme (...) de ne pas se servir du monde rural juste comme décor. On savait qu'il y a avait un potentiel fictionnel énorme dans cet univers-là", insiste le cinéaste, qui a co-écrit le scénario avec sa complice Claude Le Pape.
Ses parents, son grand-père et des amis d'enfance, tous non professionnels, donnent également la réplique, car "la paysannerie c'est aussi le lien, la transmission, une histoire de famille", aime-t-il à dire.
'Bouseux de la classe'
Le soir de l'avant-première officielle, plus de 600 personnes sont venues voir l'oeuvre de l'enfant du pays, projetée dans le seul cinéma de Saint-Dizier, où il a vu "le premier film de (sa) vie".
Coup de foudre devant "Croc-Blanc" un dimanche d'hiver, puis plaisir des séances hebdomadaires, accompagné de sa mère. Les souvenirs d'enfance remontent : "Comme on ne partait pas trop en week-end, pas trop en vacances, c'était le seul moment où on n'était pas à la ferme et on ne parlait pas de ce qu'il s'y passait."
En arrivant à la Fémis, "j'avais peur d'être considéré comme le +bouseux de la classe+", confie Hubert, qui estime être "un gros inculte du cinéma", utilisant ses racines "d'enfant de paysans" comme terreau pour son travail.
"Je me suis toujours plus considéré comme un paysan qui vient faire des films que le contraire, mais j'ai l'impression que, oui, je suis devenu réalisateur", poursuit-il, reconnaissant envers ses parents qui l'ont "toujours soutenu".
"Au départ, j'ai plus fait ce film par nécessité que par envie. Il y a un énorme truc cathartique, c'est un peu une manière pour moi de dire au revoir à ce monde-là, à cette ferme que je ne reprendrai pas", souligne le réalisateur, qui compte encore exploiter cette terre "cinématographique" et authentique qu'il connaît si bien.
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