La vie de Dotan Goshen, diplômé du Technion, l'institut de technologie le plus prestigieux d'Israël, a basculé un soir de 2012 quand son chef l'a appelé chez lui pour lui reprocher de ne pas se dévouer assez à son travail alors qu'il dépassait allègrement les 50 heures hebdomadaires.
Le lendemain, ce père de trois enfants, âgé de 37 ans, allure athlétique sous son tee-shirt kaki "100% nature", a présenté sa démission pour réaliser son rêve: se lancer dans la production de fruits et légumes bio.
Comme lui, de nombreux Israéliens entrés très jeunes sur le marché florissant de la high-tech décident d'abandonner postes prestigieux et salaires élevés pour adopter un mode de vie plus conforme à leurs idéaux.
Le phénomène n'est pas propre à Israël. Dans d'autres pays développés, des cadres sont tentés par l'aventure, une tendance encouragée par la vogue du retour à la nature, la recherche d'une vie plus simple et plus saine et une "quête de soi".
Mais en Israël, où la mobilité professionnelle est particulièrement importante et les réseaux de recrutement moins formels, la tendance est beaucoup plus marquée, estime Daniel Barkat, ancien cadre high-tech reconverti dans la production de chocolat végétalien.
Le passage à l'armée
"En Israël, on peut, en sortant de l'unité 8200, sans aucune éducation universitaire, se retrouver bombardé à un poste à responsabilité dans la high-tech et décider de faire complètement autre chose quelques années après", explique-t-il.
La prestigieuse unité militaire 8200 est un corps collectant, décodant et analysant le renseignement. Dans un pays où tous -sauf exception- sont astreints à un service militaire de 32 mois pour les garçons et deux ans pour les filles, cette unité est considérée comme la voie royale vers le marché high-tech.
De nombreux anciens de la 8200 ont fondé des fleurons des technologies d'internet.
Recruté comme cadre d'une entreprise d'informations financières directement après son service militaire, Daniel Barkat, aujourd'hui âgé de 29 ans, a abandonné cet univers professionnel pour plonger dans le monde du chocolat.
"J'avais atteint à 24 ans ce que des adultes mettent une vie entière à obtenir: un emploi stable, prestigieux, bien rémunéré", explique-t-il. "Mais mon boulot était très technique, ennuyeux, vide de sens. Je me suis demandé: 'Et maintenant, je vais où'"?
Adepte du véganisme, très en vogue en Israël depuis plusieurs années, il a lancé avec sa compagne un projet qui "lui tenait à coeur depuis longtemps": une ligne de chocolat au lait utilisant un substitut au lait de vache, élaborée grâce à un mélange de noix de coco et de soja.
Retour aux racines
Son entreprise emploie aujourd'hui douze personnes et ses produits sont distribués dans une centaine de points de vente en Israël.
La proportion particulièrement élevée de la population active israélienne travaillant dans la high-tech, estimée à 10%, renforce les probabilités de sortie précoce du secteur, souligne Daniel Haber, consultant et auteur d'un livre sur les "surprises de l'économie d'Israël".
La transition n'est cependant pas toujours facile, comme en témoigne Eli Cohen, qui, après avoir quitté son poste à responsabilité dans l'un des plus gros opérateurs mobiles israéliens, s'est lancé dans l'enseignement d'une méthode holistique alliant taï-chi et chi-kong -des gymnastiques asiatiques- et l'auto-médication.
"Ca n'a pas été facile au début, ça ne marchait pas. J'ai dû continuer à travailler un peu dans mon domaine et apprendre parallèlement les secrets de ma nouvelle vocation", explique-t-il.
Dotan Goshen, lui, a modifié ses priorités depuis sa reconversion en agriculteur bio. "Avant, j'avais une voiture de fonction, un très bon salaire et aujourd'hui je ne sais pas exactement combien je gagne. Mais être davantage avec ma famille et avoir ce contact avec la terre n'a pas de prix", dit-il.
En Israël, le retour à la terre et à la spiritualité a une connotation nostalgique des premières années après la création de l'Etat, souligne Daniel Haber.
"Les salariés du secteur de la high-tech, sous pression constante, éprouvent une nostalgie des jours anciens, du kibboutz, du partage, du mythe fondateur et spirituel de l'Etat", dit-il.
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