Lorsqu'on lui a traduit les slogans des manifestants rassemblés sur la place d'Elin Pelin, près de Sofia, Fahim Jaber est resté sans voix: "Ils disaient +Nous avons résisté aux Ottomans, nous ne vous accepterons pas+", raconte ce Syrien de 57 ans.
Son seul tort: avoir voulu s'installer dans cette commune avec sa femme et leur fils cadet Ahmed, âgé de 23 ans. C'était sans compter sur l'opposition du maire et de la poignée de militants nationalistes venus manifester contre cette famille originaire d'Alep.
Après cette démonstration d'hostilité, qui remonte à février, "nous ne sommes plus sortis de chez nous pendant deux mois", raconte Fatima Batayi, son épouse, dans la cuisine de leur petit appartement.
Le bras de fer a duré jusqu'en juillet, lorsque la famille Jaber, arrivée en juin 2016, s'est enfin vu délivrer par le maire l'indispensable permis de résidence, après avoir obtenu un statut humanitaire.
Rares sont les réfugiés à s'installer en Bulgarie, un pays de 7,1 millions d'habitants où le niveau de vie est le plus faible de l'Union européenne. Porte d'entrée de l'UE, plus de 58.000 migrants y ont déposé une demande d'asile depuis 2013... avant, dans leur immense majorité, de continuer leur route vers d'autres pays plus attractifs.
"Consensus anti-réfugiés"
Mais quelques centaines y posent leurs valises chaque année, principalement des Syriens et des Irakiens. Le plus souvent faute d'alternative, après la fermeture de la route des Balkans au printemps 2016. Et parfois par choix, comme la famille Jaber venue rejoindre le fils aîné Mehmed, arrivé fin 2013 et qui travaille dans l'électronique.
Le parcours d'intégration tient de la course d'obstacles. L'hostilité rencontrée à Elin Pelin illustre le "consensus anti-réfugiés" qui traverse la société bulgare, selon Yavor Siderov, analyste et ancien conseiller du gouvernement.
"Des fantasmes de maladie, de migrants terroristes et voleurs d'emplois sont véhiculés, notamment dans les médias nationaux", souligne l'expert, pour qui "ces discours génèrent la peur dans un pays déjà angoissé par son propre effondrement démographique, et qui craint un changement de population".
Près de deux millions de Bulgares ont émigré depuis la fin du communisme, selon l'Institut des statistiques, poussés à l'exil pour des raisons économiques. Avec des conséquences directes sur la natalité.
Depuis le printemps, le Premier ministre conservateur Boïko Borissov gouverne avec plusieurs ministres issus de formations nationalistes. Mais l'hostilité envers les réfugiés transcende les partis, des anciens communistes à la droite, observe M. Siderov.
Corolaire de ce climat : l'absence d'une stratégie globale d'intégration, réclamée en vain par les organisations humanitaires. Alarmé, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU, a déploré dans un récent rapport le fait qu'"aucun service destiné à favoriser l'intégration n'est fourni par l'Etat".
"Tout faire seul"
"Il faut tout faire seul, personne ne vous explique quoi faire et comment le faire", confirme Bilal Hasan, un Syrien de 44 ans resté bloqué en Bulgarie car le passeur qui devait lui faire quitter le pays avec sa famille s'est envolé avec leurs économies.
"Ma chance a été de me faire ici des amis sans lesquels rien n'aurait été possible - le logement, le travail, toute l'administration", confie dans un bon anglais ce diplômé de droit, qui travaille aujourd'hui dans un centre d'appels à Sofia après avoir obtenu le statut humanitaire.
Pour Kaled Deyab, un Syrien de 36 ans qui ne parle que l'arabe, le parcours d'obstacles ne fait que commencer, bien qu'il ait la particularité d'être arrivé en Bulgarie par une voie officielle.
Avec sa femme et ses deux enfants, il fait en effet partie des 50 premiers réfugiés "relocalisés" en Bulgarie depuis la Grèce, dans le cadre d'un programme de répartition de candidats à l'asile entre pays de l'UE. Sofia s'est engagé à en accueillir un millier au total.
Comme tous les "relocalisés", Kaled Deyab n'a pas eu le choix de sa destination. Une fois obtenu un droit de séjour, la famille aura quinze jours pour quitter le camp d'accueil de Sofia, sans savoir où elle ira...
"Cela fait deux ans que nous sommes sur la route et que les enfants n'ont pas été à l'école", explique avec lassitude ce père de famille à la fine silhouette.
L'analyste Yavor Siderov estime que les migrants pourraient pourtant être vus comme une chance dans un pays miné par une émigration de travail massive. "Comme ce ne sont pas les Suisses et les Allemands qui vont venir travailler ici, il faut se tourner vers d'autres populations", relève-t-il.
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