Tamara se souvient précisément du jour, le 7 décembre 2014, où un obus s'est abattu sur le toit de la résidence, située à Novomykhaïlivka, un village dans la zone contrôlée par Kiev.
"J'ai entendu un grand bruit et les vitres ont volé en éclats", se souvient cette femme aux cheveux gris, vêtue d'une robe de chambre colorée et qui se déplace avec une canne.
Il a fallu attendre plus d'un an pour que le toit et les murs soient totalement réparés.
Tamara a emménagé dans cette résidence publique pour personnes âgées en 2011, après une opération de la jambe qui l'a empêchée de vivre seule. Les lieux étaient tranquilles jusqu'à ce qu'éclate en avril 2014 une guerre entre séparatistes prorusses et soldats de l'armée loyaliste ukrainienne qui a fait plus de 10.000 morts.
En cas d'urgence, elle et les autres résidents de la maison de retraite se réfugient au sous-sol du bâtiment.
Le Mécanisme national de prévention ukrainien (NPM), l'organisme de contrôle des lieux de privation de liberté, qui supervise aussi les établissements médicalisés, estime qu'une cinquantaine d'institutions publiques pour personnes âgées ou malades dépendants se trouvent en zone de conflit, des deux côtés de la ligne de front.
Coincées
"Ces personnes sont doublement prises en otage: non seulement elles ne sont pas en capacité de quitter elles-mêmes ces institutions mais elles sont aussi coincées en zone de conflit", explique à l'AFP Tetiana Petchontchyk, responsable du NPM, lors d'une visite à la maison de retraite de Novomykhaïlivka.
De l'autre côté du front, en zone séparatiste, la situation est aggravée par la difficulté à s'approvisionner en médicaments et certains produits alimentaires, s'alarme-t-elle.
Des deux côtés, les personnes dépendantes, âgées ou malades, sont soumises au risque de bombardements, car des heurts se produisent régulièrement malgré la signature des accords de Minsk en février 2015, que les deux parties s'accusent mutuellement de violer.
Malgré sa peur des bombardements et des tirs, Tamara reste car elle n'a pas de famille proche sur qui compter. Elle n'a jamais été mariée et n'a pas d'enfants. "Je n'ai nulle part où aller. Chaque jour, je demande au Seigneur qu'ils arrêtent. Je suis prêt à tout accepter, à condition qu'ils arrêtent de tirer", dit-elle.
La résidence abrite 31 personnes qui déboursent les trois quarts de leur maigre retraite -- soit 1.300 hryvnias par mois, soit un peu plus de 40 euros-- pour vivre dans ce bâtiment de briques grises.
"Nos cuisiniers nous préparent des soupes, des céréales. Et les jeudis, nous chantons et nous dansons", confie Tamara. Sa pension lui suffit, dit-elle, pour couvrir "les petites dépenses".
'Je veux rentrer'
"La majorité de ces gens ont des proches, qui toutefois ne veulent pas les prendre chez eux", constate Ivan Svytelnyk, directeur de cette maison de retraite qui porte le nom très soviétique de Maison des Vétérans.
Les autorités ont délocalisé les quelques institutions les plus endommagées par les affrontements. Mais la plupart des autres continuent de tourner là où elles se trouvent malgré le danger, car la demande reste forte pour y obtenir une place, et les résidents et le personnel sont réticents à déménager loin de chez eux.
Plus loin, dans le village de Gostré, à dix kilomètres du front, les agents du NPM visitent un centre de soins pour les malades atteints de tuberculose.
Les patients y séjournent deux à trois mois pour leur traitement. Le centre en accueille une centaine actuellement, dont une dizaine qui sont restés coincés là à cause du conflit, souvent en raison de l'expiration des documents exigés pour passer la ligne de front.
"Nous ne forçons personne à rester, nous n'avons juste nulle part où les envoyer", explique à l'AFP Valentyna Kojevnyk, médecin chef du sanatorium.
C'est le cas de Valéri Koltounovski, 47 ans, originaire de la ville de Makiïvka contrôlée par les séparatistes de l'autoproclamée République populaire de Donetsk et où vivent sa femme et ses deux enfants.
Assis dans une petite salle à manger du centre, il explique que ses papiers ont expiré et qu'il souffre d'une bronchite grave des suites de sa tuberculose, imposant la présence d'un médecin pour le trajet à travers de nombreux check-points.
"Je veux rentrer dans ma ville", dit ce moustachu. "Mais ce ne sera probablement pas possible avant longtemps...", constate-t-il, fataliste.
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