Roberto Altamirano, 42 ans, est inquiet pour l'avenir de cette zone champêtre de 10.500 hectares, classée au Patrimoine mondial de l'Unesco.
Ses cibles: la carpe de Chine et le tilapia d'Afrique, deux espèces envahissantes.
Introduits dans les années 1970, ces poissons destinés à la pêche se sont multipliés rapidement. Ils sont désormais des milliers et menacent de détruire leur écosystème.
Or, si Xochimilco disparaît, on estime que la température de Mexico monterait jusqu'à quatre degrés.
Cet enchevêtrement de labyrinthes aquatiques, parsemé de constructions rudimentaires et visité chaque année par des millions de touristes, est un poumon pour la capitale ultra-polluée, mais il est souillé par les eaux usées de la mégalopole et grignoté par l'urbanisation.
Et pour lutter contre les poissons nuisibles, seule une vingtaine de pêcheurs comme Roberto subsiste.
Ils cherchent notamment à ce que les carpes et tilapias ne sonnent pas le glas de l'axolotl, petite salamandre n'existant qu'à Xochimilco et dont ils dévorent les oeufs.
'Le dernier fou'
Les carpes et tilapias "ont été introduits comme une ressource possible pour la consommation humaine", rappelle à l'AFP la chercheuse Maria Figueroa.
"Mais ils se sont révélés être des espèces envahissantes et cela cause un problème".
D'ores et déjà, les palourdes et petites écrevisses de rivière sont devenues quasi-introuvables dans ces canaux longs de 180 kilomètres au total.
Pour lutter contre ce fléau, Roberto répond avec ce qu'il a fait toute sa vie: pêcher.
"Mon grand-père a 98 ans et c'est lui qui m'a appris la pêche. Puis on a perdu la tradition car à un moment ce n'était plus rentable", raconte-t-il. "Je suis le dernier fou à la pratiquer dans la famille!"
Il a créé il y a huit ans un groupe de pêcheurs qui s'emploient à sortir des eaux des tonnes de carpes et tilapias, pour ensuite les sécher, broyer leur chair et en faire de la farine.
Aucun habitant de Mexico ne se risquerait à les manger tels quels, car on les soupçonne d'être chargés en métaux lourds.
Roberto et sa troupe ne peuvent arrêter leur travail, car sinon la population de ces espèces continuerait d'enfler, de quoi dévaster Xochimilco.
Il se rappelle d'ailleurs avoir un jour sorti en une demi-heure neuf tonnes de ces satanés poissons, un record pour son équipe.
La fin de l'axolotl?
Mais leur lutte effrénée est en péril.
La zone compte de moins en moins d'habitants prêts à se lancer dans la pêche, découragés par la perspective de fouiller les eaux troubles des canaux sous un soleil impitoyable et pour un maigre salaire de 2.600 pesos par mois (environ 145 dollars) versé par la municipalité.
"C'est dur de faire vivre une famille avec ça", reconnaît Roberto.
"Quand on arrêtera de pêcher, ça en sera fini des pêcheurs ici, car les jeunes ne veulent plus s'intéresser à ça. Ils préfèrent travailler comme (conducteur de) vélotaxi", dit-il.
A côté de lui, Ramsés Coloapa, 23 ans, confie à l'AFP pêcher "surtout par besoin de (s')en sortir, de payer la nourriture".
Roberto est angoissé à l'idée que l'axolotl - "monstre aquatique" en langue nahuatl -, créature qui fascine les scientifiques pour sa capacité à régénérer des organes endommagés comme l'oeil ou le cerveau, disparaisse.
Selon la mythologie aztèque, l'axolotl est la dernière incarnation du dieu du feu Xolotl, le seul qui ait refusé de se sacrifier pour mettre en mouvement le Cinquième Soleil, l'ère de la création de l'homme.
"Il y avait une légende locale qui disait que le jour où l'on perdrait l'axolotl, ce serait la fin de Xochimilco", quartier vestige de Tenochtitlan, le Mexico de l'ère préhispanique, se souvient-il.
Et "on y est presque arrivés"...
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