Tout avait bien commencé mardi, jour du scrutin: les Kényans s'étaient déplacés aux urnes dans le calme et en masse, attestant d'une ferveur démocratique intacte à la faveur de ces élections générales. Mais le climat s'est rapidement détérioré à mesure que l'opposition a multiplié ses accusations de fraude.
Des violences sporadiques, qui ont fait quatre morts, ont ravivé dans le pays le spectre des scènes meurtrières qui avaient suivi l'élection présidentielle de 2007 (au moins 1.100 morts).
Jeudi, les différentes missions d'observations internationales se sont relayées en direct à la télévision pour apporter un soutien prononcé à la commission électorale (IEBC), appelant les Kényans à la patience et leurs leaders à la retenue, tout comme Londres et Washington.
Mais la coalition d'opposition Nasa a persévéré dans ses accusations de fraude, affirmant détenir la preuve, sur la foi de sources internes à l'IEBC, que Raila Odinga avait gagné, et enjoignant la commission de le "déclarer président dûment élu de la République du Kenya".
Dans sa réponse écrite au camp de M. Odinga, la commission a relevé des erreurs grossières de tabulations dans les documents censés accréditer sa victoire et provenant selon elle d'une base de données Microsoft, quand l'IEBC utilise Oracle.
Dans la soirée, M. Odinga, 72 ans, s'est dit "déçu" par les observateurs, dans un entretien à CNN. "Nous ne voulons voir aucune violence au Kenya. Nous savons les conséquences de ce qui s'est passé en 2008 et nous ne voulons pas voir cela se répéter". Mais "je ne contrôle personne. Les gens veulent la justice", a-t-il ajouté.
Dernière bataille
"Toute tentative de faire pression sur l'IEBC, comme celle que nous pouvons voir en ce moment, est irrégulière et dangereuse, car elle pourrait mettre le feu aux poudres alors que la situation est déjà tendue", a commenté vendredi matin le quotidien Daily Nation dans son éditorial, appelant, comme les observateurs internationaux, tout candidat ayant des griefs à saisir l'IEBC ou la justice.
Or, a noté le quotidien, "le processus (menant à la proclamation des résultats) n'est pas achevé, et il n'y a donc pas encore de résultats" pouvant être contestés de la sorte.
La déclaration de victoire par l'opposition a suscité jeudi des scènes de liesse à Kisumu (ouest) et dans plusieurs bidonvilles de Nairobi, des fiefs de l'opposition.
Mais les résultats provisoires de l'IEBC créditaient vendredi M. Kenyatta de 54,26% des voix contre 44,85% à M. Odinga, sur 99% des bureaux de vote dépouillés. Le nom du vainqueur ne sera toutefois annoncé qu'une fois les résultats complets compilés et authentifiés au niveau des 290 circonscriptions du pays, ce que l'IEBC espère avoir terminé d'ici vendredi midi.
Une éventuelle victoire de M. Kenyatta laisse craindre un vif sentiment d'amertume chez les partisans de l'opposition, et de possibles troubles. Mercredi, alors que M. Odinga dénonçait le piratage informatique de la base de donnée de l'IEBC, des échauffourées avaient éclaté dans les bastions de l'opposition, la police réprimant sans ménagement les manifestations.
Le comportement des quelque 150.000 membres des forces de sécurité déployés pour le scrutin sera crucial dans les jours à venir. Amnesty international, et M. Odinga jeudi, les ont appelés à ne pas faire un usage disproportionné de la force.
Rivalité dynastique
Les accusations de fraude ont exacerbé les passions déjà lestées d'un demi-siècle de rivalité dynastique entre les familles Kenyatta et Odinga.
Le père de ce dernier, Jaramogi Oginga Odinga, fut brièvement vice-président, avant de perdre la lutte post-indépendance pour le pouvoir au profit du premier chef d'État Jomo Kenyatta, père d'Uhuru.
En outre, M. Odinga livre certainement sa dernière grande bataille politique, lui qui s'est présenté quatre fois à la présidentielle.
En 2007, il avait rejeté la réélection de Mwai Kibaki, lors d'un scrutin entaché de nombreuses fraudes selon les observateurs. En 2013, il avait aussi contesté sa défaite et s'était tourné en vain vers la justice.
M. Odinga, membre de la communauté luo de l'ouest du pays, s'est une nouvelle fois présenté comme le garant d'une répartition plus équitable des richesses de l'économie la plus dynamique d'Afrique de l'Est.
De son côté, le président Kenyatta, issu de l'élite économique Kikuyu, l'ethnie la plus nombreuse au Kenya, a mis en avant avec son co-listier William Ruto le développement économique du pays, avec notamment la nouvelle ligne ferroviaire entre Nairobi et Mombasa.
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