Le mot d'ordre, sur des affiches placardées dans la cité portuaire à l'est des Etats-Unis, était simple: "Nobody kill anybody for 72 hours" (Personne ne tue qui que ce soit durant 72 heures). Soit de vendredi à dimanche.
Mais, dès samedi, un homme de 24 ans a été mortellement touché par un tir, suivi d'un autre quelques heures plus tard. Deux meurtres qui n'effacent pas le "succès" remporté, assurent les organisateurs.
"41 heures de paix dans une ville qui perd des gens toutes les 19 heures, c'est énorme!", se réjouit Mme Bridgeford, qui a grandi dans ces rues devenues les plus dangereuses du pays.
Certains mois, le nombre d'homicides à Baltimore dépasse celui des jours: les victimes sont surtout des Noirs, tués par d'autres Noirs.
Résultat, un jeune Noir à Baltimore risque autant de perdre la vie qu'un soldat américain en Irak en pleine insurrection sunnite. La ville pourrait compter plus de 400 homicides fin 2017, un record national si on le rapporte aux 600.000 habitants.
A l'âge de 12 ans, Erricka Bridgeford a vu se vider de son sang un jeune garçon de son quartier, touché par un tir. Puis, au lycée, elle a perdu "au moins deux ou trois amis".
Deux de ses trois frères ont reçu des balles. Le premier a miraculeusement survécu en 2001, l'autre est décédé en 2007. Les armes à feu ont également pris la vie de deux de ses cousins et de son beau-fils.
Obsèques en série
"Je me rends à environ trois ou quatre enterrements par an", relate la femme noire de 44 ans.
Elle est persuadée que le week-end de cessez-le-feu, qu'elle a préparé depuis des mois, a permis de sauver au moins deux vies.
Mais, plus important, la ville est selon elle gagnée par une prise de conscience. "Nous avons créé une sorte de nouvelle énergie", dit-elle.
De l'énergie, il en faudra pour éradiquer les racines de la violence: l'extrême pauvreté, les dépendances aux drogues et aux médicaments opiacés, la dissémination des armes à feu, la rivalité entre les gangs, l'enchaînement des représailles.
Dans certain quartiers à la dérive à l'est de Baltimore, les maisons murées s'achètent pour 7.000 dollars, quand ceux qui travaillent amassent péniblement 15.000 dollars par an, détaille Gardnel Carter, directeur d'une antenne locale de Safe Streets, un programme de lutte contre la violence.
Les jeunes en quête d'évasion, explique-t-il, ne voient comme débouchés que les appareils électroniques et les drogues.
L'héroïne a laissé place aux médicaments antalgiques de synthèse, normalement vendus sur ordonnance.
"Il y a des gens de plus en plus jeunes qui y sont accros. Ils errent comme des zombies, en plus de leurs problèmes mentaux déjà existants", décrit M. Carter, qui a été emprisonné vingt ans pour meurtre.
Défiance envers la police
Barbe fournie et lunettes noires sur les yeux, Jamal, 28 ans, est assis désoeuvré dans une rue où les quelques commerces sont majoritairement gérés par des hispaniques ou des asiatiques.
Le trafic de drogue est omniprésent, avertit-il.
"Je vois la bosse formée par l'arme (sous les vêtements) de cet homme, mais je ne vais pas appeler la police car cela mettrait ma vie en danger", confie-t-il. "C'est comme ça que j'ai survécu si longtemps".
La confiance entre la police et les habitants des quartiers paupérisés de Baltimore a été durablement entamée par l'affaire Freddie Gray. Le 12 avril 2015, ce Noir de 25 ans avait subi une blessure mortelle aux cervicales lors de son transport dans un fourgon policier. La ville avait été agitée par des émeutes.
Plus récemment, des policiers ont été accusés d'avoir confectionné des fausses preuves en déposant des drogues chez un suspect.
Une polémique alors que la police réfléchit à des stratégies inédites pour endiguer les homicides. Une piste serait de punir d'un an de prison toute détention illégale d'arme à feu.
Baltimore veut aussi s'équiper d'un réseau de capteurs acoustiques qui localiserait en temps réel les coups de feu.
Mieux protégé... en prison
De façon paradoxale, les autorités se demandent si une façon d'éviter la mort brutale de futures victimes serait de maintenir ces dernières... derrière les barreaux.
"Il faut parfois protéger les gens contre eux-mêmes. Au moment de leur décès dans la rue, de nombreuses personnes auraient pu être en prison si elles avaient reçu une peine plus sévère", explique à l'AFP T.J. Smith, le porte-parole de la police de Baltimore.
Plus de 85% des victimes avaient un casier judiciaire, ajoute-t-il.
Pour lui, le cessez-le-feu n'a "absolument pas été un échec", en raison du coup de projecteur positif suscité par l'initiative.
M. Smith est devenu le visage qui annonce chaque nouvelle fusillade, ses victimes et ses auteurs quand ils sont interpellés. Il n'oubliera jamais le 173e mort de l'année 2017: son propre frère, tué par balle.
"Etre du côté de la victime, bien sûr que c'est différent", confesse-t-il. "C'est autrement douloureux que de parler au pupitre d'un étranger".
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