En dehors de la sécurisation de la rue de Charonne le soir des attentats du Bataclan, il n'y a aucun exemple au cours duquel ces soldats ne soient intervenus pour protéger autre chose qu'eux mêmes, souligne à l'AFP le chercheur Elie Tenenbaum, de l'Ifri, auteur d'un rapport intitulé "La sentinelle égarée ?"
"Comme l'ont montré les incidents au Louvre, à Orly et sans doute ce matin à Levallois, c'est un dispositif de sécurité qui devient la cible en tant que tel", dit-il. "Ils sont passés de gardes statiques à des patrouilles plus dynamiques, mais ils demeurent des cibles".
"Aujourd'hui, quoi qu'en disent l'armée de terre et le ministère de la Défense qui essaient de convaincre du contraire depuis le début, ces militaires sont utilisés comme des supplétifs des forces de police (...) avec des pouvoirs extrêmement limités, qui font de la présence et de la sécurisation à minima", ajoute-t-il.
Depuis le lancement de l'opération, en janvier 2015 juste après les attentats de Charlie Hebdo, les soldats en faction et en patrouille en Ile-de-France sont la cible, selon l'étude d'Elie Tenenbaum, d'en moyenne cinq agressions quotidiennes, la plupart du temps verbales mais parfois physiques.
"Ce dispositif ne donne satisfaction à personne car il apporte très peu en termes de sécurité", assure à l'AFP le général (à la retraite) Vincent Desportes, professeur à Sciences Po après avoir dirigé notamment l'École supérieure de guerre. "En revanche il fournit aux terroristes des cibles militaires claires pour qui veut les frapper. Depuis le début, ils ont essentiellement servi de cibles."
"Paratonnerre qui attire la foudre"
"C'est une opération d'ordre psychologique et politique, mais qui ne rajoute rien à la sécurité des Français, ajoute-t-il. En revanche, elle fait porter une charge considérable sur les armées et a un poids tout à fait négatif sur le moral des troupes et leur capacité à recruter les soldats dont nous avons besoin".
Interrogée mardi, lors d'une visite à des soldats de Sentinelle en patrouille dans Paris, sur le fait de savoir s'ils étaient des cibles ou un rempart pour la population, la ministre des Armée Florence Parly a réitéré la position officielle : "Ils sont rempart avant toute chose puisqu'à chaque fois ils ont pu déjouer les tentatives d'attentats (...) qui étaient en préparation".
Un avis que ne partage pas le colonel (à la retraite) Michel Goya, qui dans son blog, "La voie de l'épée", dénonce ce qu'il appelle "le piège de l'opération Sentinelle".
"Si on examine le bilan réel de l'engagement de militaires sur le territoire métropolitain depuis octobre 1995", écrit-il, "on constate que strictement aucun attentat, de quelque origine qu'il soit, n'a jamais pu être empêché par cette présence".
"Peut-être que certains ont été dissuadés par elle mais on ne dispose, à ma connaissance, d'aucun témoignage dans ce sens en plus de vingt ans", ajoute-t-il. "Les seuls terroristes que les soldats ont finalement neutralisés sont ceux qui les ont attaqués".
Dans une interview au Point, l'historienne Bénédicte Chéron, spécialiste des relations entre l'armée et la société, a récemment qualifié Sentinelle de "mission paratonnerre".
"Il ne sera plus possible de se voiler bien longtemps la face sur le fait que nous avons distribué sur le territoire national des cibles", estime-t-elle. "Seraient-elles protectrices dans le sens où on s'attaque plus à Sentinelle qu'à d'autres ? Alors disons-le: Sentinelle est un paratonnerre qui attire la foudre. Et si cela relève du parti pris et du choix politique, ne fermons pas les yeux".
Pour le général Desportes, "le mieux serait d'y mettre fin, de manière à permettre à nos troupes de retrouver un rythme de déploiement qui leur permette de s'entrainer pour les vrais combats qu'ils ont à conduire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui".
L'opération Sentinelle, qui mobilise 7.000 soldats en permanence sur le territoire national, devrait être "revue en profondeur" à la rentrée, a annoncé en juillet le président Macron.
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