Avec des arbres dont les branches croulent sous les fruits, les vergers de la communauté Moletele s'étalent aujourd'hui fièrement au pied des montagnes qui toisent la ville de Hoedspruit, dans le nord-est.
"C'est un peu comme si on nous avait rendu notre dignité", résume M. Nkosi, à la tête de l'association des propriétaires de sa tribu. "Nous faisons tout pour que notre peuple travaille sur l'exploitation et qu'elle soit un succès".
Près d'un quart de siècle après la chute de l'apartheid, la question très sensible de la redistribution des terres au profit de la majorité noire continue à agiter la vie politique sud-africaine.
Même inculpé d'"incitation à l'effraction", le bouillant chef de la gauche radicale Julius Malema ne manque pas une occasion d'exhorter ses troupes à s'"emparer des terres".
Le président Jacob Zuma n'est pas en reste et agite la menace des "expropriations sans compensations" au nom de la "transformation radicale" d'une économie encore largement aux mains des Blancs.
Depuis l'élection de son premier président noir Nelson Mandela en 1994, la propriété des terres agricoles a peu évolué en Afrique du Sud. Dix ans plus tard, à peine 3% avaient changé de mains, selon le ministère du Développement rural.
Souvent, la redistribution se solde par un échec. Les nouveaux propriétaires sont contraints de jeter l'éponge, incapables d'assurer la rentabilité de leur exploitation.
'Très difficile'
La communauté Moletele, elle aussi, a frôlé la catastrophe.
Et pourtant. Lorsqu'en 2007 ses 1.615 familles reprennent enfin possession du premier lot sur les 70.000 hectares qui leur sont dus, l'heure est franchement à l'euphorie.
"Ceux auxquels on a refusé l'occasion de participer à la vie économique doivent désormais devenir les acteurs-clés du développement de leur propre terre", leur lance la ministre de l'Agriculture de l'époque, Luluma Xingwana.
Mais, faute de capitaux, de formation et d'accès au marché, l'entreprise tourne au fiasco et met vite la clé sous la porte.
"C'était très difficile. Il fallait payer les engrais, l'électricité et tout le reste mais on n'avait pas l'argent", se souvient Hezekiel Nkosi, "alors on a lancé un appel à l'aide".
Et dans un étonnant pied de nez à l'histoire raciale du pays, le coup de main leur vient il y a quatre ans de... fermiers blancs.
Contre un pourcentage de son chiffre d'affaires, les Moletele confient pour vingt ans la gestion de leurs terres à un gros exploitant local. Voilà que les ex-propriétaires sont désormais fermiers et que leurs anciens ouvriers agricoles sont devenus patrons.
Contre toute attente, le montage fonctionne.
"Quand on a pris en main la ferme, plus rien ne marchait, elle était totalement abandonnée", se souvient un des repreneurs, Duo Landman. "On a simplement appliqué les méthodes utilisées sur nos propres terres. Et maintenant, c'est rentable".
'Un exemple'
La petite entreprise des Moletele bénéficie du savoir-faire, de l'usine de conditionnement et des circuits de distribution de son partenaire. Ses citrons et ses mangues s'exportent au-delà des frontières et elle encaisse ses premiers bénéfices.
"Voilà un exemple de réforme agraire qui marche", se réjouit Pieter Scholtz, le PDG de Matuma Farms.
"Ici, 70% de la terre appartient aux Moletele. Si leur exploitation ne marchait pas, ça aurait un effet négatif sur nos propres fermes", plaide-t-il, "pour nous, il s'agit de créer des emplois et de redonner à la communauté sous forme d'accords commerciaux et de formation".
Satisfait de son partenariat, Pieter Scholtz s'inquiète lorsqu'il entend Jacob Zuma envisager des "solutions radicales pour apaiser la faim de terres" de ses compatriotes.
"C'est toujours un motif d'inquiétude lorsque votre président dit des choses comme ça devant le Parlement", lâche-t-il.
A la tête de la fondation Vumelana, qui a soutenu le projet des Moletele, Peter Setou exclut pour son pays un scénario d'expropriation des Blancs par la force identique à celui qui a conduit au chaos l'agriculture au Zimbabwe voisin.
"La terre est un sujet très sensible, les communautés sont très frustrées car le processus de redistribution est trop lent. Mais l'Afrique du Sud est une démocratie dont la Constitution garantit les droits de tous", note-t-il, "nous trouvons toujours des voies originales pour régler nos problèmes".
Hezekiel Nkosi ne croit pas, lui non plus, à cette surenchère électorale. "Si vous occupez de terres sans avoir accès au marché ou sans le savoir-faire technique, c'est l'échec assuré", tranche-t-il.
Tout à son rôle de patron, il réfléchit à la prochaine étape : acheter du bétail. "Notre rêve est de devenir les meilleurs producteurs de boeuf de toute l'Afrique du Sud".
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