Younès Abdallah, 60 ans, a bricolé un stand au milieu des vendeurs de pièces détachées automobiles et de téléphones mobiles installés autour de la halle. Avec un de ses voisins, il répare téléviseurs, enceintes audio et autres appareils électriques.
Gogjali, dans les faubourgs orientaux de Mossoul, a été l'une des premières zones reprises à l'organisation Etat islamique (EI) en novembre dernier, bien avant la rive ouest de la ville, officiellement "libérée" le 10 juillet.
Mais huit mois sans la menace du groupe ultraradical n'ont pas rendu Younès Abdallah optimiste. "Le gouvernement ne fait rien. C'est la population qui nettoie les rues, rien n'est reconstruit", lâche-t-il, le regard désabusé derrière ses lunettes tordues.
"Ma maison est détruite, je n'ai pas d'argent pour la reconstruire, je ne sais pas quoi faire, à qui m'adresser... On est des milliers dans ce cas", enchaîne Ammar Akram, son partenaire d'affaires qui a fui les combats de la vieille ville située sur l'autre rive du Tigre.
"Ils (le gouvernement, ndlr) ne nous aident pas parce que pour eux, on est tous Daech (acronyme en arabe de l'EI)", enrage-t-il.
'Pas confiance'
La défiance envers les dirigeants s'invite sur de nombreux étals. "Ils disent qu'on a soutenu Daech, mais ils savent bien qui les a laissés entrer", fulmine un jeune vendeur de thé un peu plus loin.
Selon une enquête parlementaire irakienne d'août 2015, de haut gradés et des responsables gouvernementaux ont joué un rôle majeur dans le désastre de Mossoul, en affaiblissant les capacités de l'armée irakienne.
"Je ne leur fais pas confiance, ils détournent l'argent à leur profit", affirme pour sa part M. Abdallah, avec une nuance: "Pour la sécurité, ils sont plutôt bons".
Mais "il y aura des problèmes avec les milices", prédit le vendeur, en référence aux groupes armés locaux, dont les rivalités gangrénaient déjà la ville avant l'EI.
Une cliente se mêle à la conversation. "Il faut que les Américains restent, eux peuvent dominer tout ça. Quand ils disent quelque chose, on les écoute", explique cette couturière d'une quarantaine d'années, "repartie de zéro" après avoir fui la rive occidentale de la ville.
Depuis la halle ombragée du marché Nabi Younes (Prophète Jonas) située quelques kilomètres plus loin, à Mossoul, l'horizon apparaît plus clément.
"Il y a plus de produits, les prix sont redevenus raisonnables. Sous l'EI, c'était trois fois plus cher", souligne un client.
- Le devoir d'espérer -
Dans l'allée centrale, des étals de parfums bon marché, de teintures pour cheveux et des brûleurs de graisses aux emballages affichant des corps féminins ont pris place à côté de ceux des poissonniers, maraîchers, vendeurs de noix...
Derrière ses piles de raisins, de pommes et de grenades, Mohamed Jassem prône la patience. "Le gouvernement a beaucoup à faire, il faut du temps pour qu'il réorganise les choses et que tout redevienne normal", explique le commerçant, pour qui "la priorité est de reconstruire l'infrastructure: les hôpitaux, les ponts, les routes..."
"Inchallah", si Dieu le veut, la sécurité et la reconstruction ramèneront le million de personnes qui a quitté la ville et redonneront un peu de son âme à Mossoul, espère-t-on.
"Mais il faudra aussi l'aide financière de la communauté internationale", sourit Omar Hayani.
Depuis quelques mois, ce vendeur de sous-vêtements féminins revit. Certes "le gouvernement ne fait rien et laisse les gens se débrouiller", mais le jeune homme de 32 ans se sent "libre, heureux maintenant".
Son commerce lui a valu d'être condamné deux fois au fouet par l'EI "à cause des mannequins qui n'étaient pas autorisés", explique-t-il en montrant les silhouettes en plastique aujourd'hui recouvertes de robes transparentes.
"Nous devons espérer", estime-t-il. Mais de sa boutique au carrefour de Gogjali, un même avertissement revient: "Si les choses ne changent pas, la guerre reviendra et tout le monde partira".
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