Perché au bord d'un cratère de gravats, sous le soleil brûlant de l'été irakien, Khaled Faazili contemple le bras de la pelleteuse de la Défense civile qui dégage, trois mètres plus bas, un entrelacs de fils de fer, de blocs de béton, de morceaux de bois et de matelas.
L'odeur de putréfaction a guidé les services de recherche, l'engin a révélé des restes humains, mais Khaled redescend rapidement de sa montagne de décombres située en lisière des quartiers al-Zinjili et al-Chifah, à Mossoul-Ouest.
Ce n'est pas sa femme Sarah, 31 ans, ni sa fille Touqa, 7 ans, qu'il cherche depuis plus de deux mois. "C'est une voisine, je reconnais les vêtements", soupire ce trentenaire. "Je sais qu'elles sont là-dessous. Mon frère était avec elles quand ça a été bombardé", assure-t-il.
Dix-neuf membres de sa famille, dont son fils de 10 ans, sont morts dans une frappe aérienne le 19 mai contre ce bâtiment, sur le toit duquel des jihadistes s'étaient réfugiés. Seul son frère a survécu.
Dix-sept corps ont été retrouvés lors de premières recherches, il y a un mois. Khaled ne se fait pas d'illusion: sa femme et sa fille sont mortes. "Mais c'est important pour moi de retrouver leurs corps, ça m'apporterait une paix intérieure. Et je pourrai leur rendre visite quand je veux. Quand je vais sur la tombe de mon fils, ça m'apaise", confie-t-il, les yeux embués.
Huit mois de combats contre l'organisation Etat islamique (EI), de frappes aériennes, de tirs de mortier, de voitures piégées, ont pulvérisé la ville et les agents de la Défense civile en ont pour des mois à chercher des disparus dans les ruines de Mossoul.
'A la volonté de Dieu'
Reste-t-il des centaines, des milliers de corps à exhumer ? "On ne fait pas de prévisions", affirme le major Rabie Ibrahim Hassan, de la Défense Civile: "On ne peut pas savoir parce que l'EI a déplacé les gens de maison en maison pour s'en servir de boucliers humains."
Ses hommes dégageront un crâne quelques minutes plus tard. Comme les autres restes humains, il sera acheminé vers le service de médecine légale de l'hôpital al-Salam, dans le quartier de Wadi Hajar.
Chaque jour, "pas moins de 30 à 40 corps" y arrivent, selon Dhiya al-Din Shams al-Din, l'adjoint du service. En juin, 850 dépouilles de civils y ont transité, dont 180 non identifiées.
Et "40 à 50 personnes viennent chaque jour nous demander des informations sur un proche", ajoute-t-il.
Zahraa et Hajar Nachouane sont venues se renseigner sur leur grand frère, Ahmed, dont elles sont sans nouvelles depuis le bombardement de leur maison il y a deux mois.
"On est sorti vivants mais on se sent morts", explique Zahraa, l'aînée. "On se dit toujours que même si on a perdu notre argent et nos biens, ce n'est pas grave, l'important c'est qu'il nous reste ceux qui nous sont chers. Là, on a perdu les deux."
"On a fouillé dans les décombres, on est allées aux checkpoints, au camp (de réfugiés) de Hamam al-Halil, on n'a rien trouvé", soupire Hajar, 18 ans. "Je ne sais pas si on saura un jour. Ce sera la volonté de Dieu."
Certains disparus réapparaîtront peut-être. "L'autre jour, on a retrouvé huit personnes qui ont survécu dans une cave sous les décombres durant 25 jours", raconte le major Hassan.
Il y a également les cas de personnes arrêtées et suspectées d'appartenir à l'EI. "Même si la loi irakienne les autorise à communiquer avec leurs familles, il apparaît que la loi ne s'applique pas et qu'on les en empêche durant la période d'enquête qui peut durer des mois. Ces familles n'auront pas de nouvelles avant longtemps", déplore Belkis Wille, chercheuse spécialiste de l'Irak pour l'ONG Human Rights Watch.
Selon son association, qui se base sur des vidéos et des témoignages, certains "suspects" ne font pas toujours l'objet d'enquêtes et disparaissent définitivement, exécutés sommairement par l'armée irakienne.
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