Cela dure 45 minutes. Une petite mi-temps avant que des agents de sécurité n'interviennent et mettent fin à cette partie du dimanche qui ressemble à un match entre copains, sur un terrain d'Hanoï.
"Nous jouons à ce petit jeu du chat et de la souris avec la police et les forces de sécurité depuis que nous avons créé l'équipe", explique Nguyen Chi Tuyen, l'un des fondateurs du groupe.
Le rendez-vous est toujours le dimanche mais jamais au même endroit. Ils partagent donc l'emplacement du terrain à la dernière minute et se déplacent toujours en groupe avant et après le match.
L'équipe - appelée No-U FC - a été formée en 2011 par une quarantaine d'habitués des manifestations pour protester contre l'avancée de Pékin en mer de Chine méridionale. Des rassemblements qui se terminaient presque toujours par une intervention violente de la police vietnamienne.
"Nous avons donc tenté de trouver un moyen légal pour nous voir et discuter", ajoute Nguyen Chi Tuyen, 43 ans.
L'équipe, dont le nom évoque la frontière contestée en mer de Chine méridionale, est née juste après. "FC" est là pour "football club" mais des blagues rappellent que cela signifie aussi "Fuck China".
Leur opposition à l'hégémonie chinoise dans la région est le point central qui fédère le groupe: ils dénoncent l'invasion des îles Paracel en 1974, la brève mais sanglante guerre entre les deux pays en 1979 et les velléités de la Chine en mer méridionale en général.
Dissidents emprisonnés
Mais ils s'intéressent aussi à d'autres causes: la démocratie dans le pays, les droits de l'Homme et la liberté d'expression dans un pays autoritaire où seul le parti communiste est autorisé et où les dissidents sont régulièrement emprisonnés.
Fin juin, une dissidente et blogueuse, connue sous le nom de Me Nam ou "Mère champignon", a été condamnée à dix années de prison pour propagande antiétatique.
Et quelques jours avant, un dissident franco-vietnamien avait été renvoyé en France après avoir été privé de sa nationalité vietnamienne et expulsé.
"J'ai rejoint cette équipe pour marquer mon soutien au mouvement démocratique, et pour encourager chaque Vietnamien à nous rejoindre pour protester contre les autorités vietnamiennes", explique Nguyen Trung Linh, ancien prisonnier politique.
Si sur le terrain les conversations sont principalement apolitiques - les conversations plus polémiques se déroulent lors de la troisième mi-temps - leur simple existence est un défi pour les autorités.
"Chaque match est une manifestation", affirme Nguyen Chi Tuyen, tout sourire, car au Vietnam chaque blog est épluché, Facebook scruté à la loupe et la presse censurée.
"Les dissidents doivent trouver d'autres moyens pour se retrouver et discuter des grandes problématiques", explique Janice Beanland d'Amnesty International. Mais même autour d'un terrain de foot ces réunions sont "extrêmement risquées".
La plupart des joueurs confirment être suivis, harcelés et parfois battus par la police ou des officiers en civil. L'un des joueurs a été frappé à coups de briques l'an passé après un match.
Contactée par l'AFP, la police d'Hanoï n'a pas donné suite.
Ce dimanche, quand des gardes entrent sur le terrain en courant, en quelques instants les filets des buts sont détachés et les journalistes doivent quitter le terrain.
Il ne s'est écoulé que quelques minutes entre le moment où ils ont pris une photo autour d'un drapeau géant au couleur du club et l'intervention.
"Bien sûr que j'ai peur d'être frappé, mais quand je suis avec les autres de l'équipe, nous jouons au foot et je n'ai pas peur", explique Cuong Pham, 45 ans.
D'après eux, le harcèlement est devenu pire ces derniers mois depuis la mise en place de nouveaux leaders communistes, ce que confirment de leurs côtés les groupes de défense des droits de l'Homme et des diplomates, en privé.
Mais l'équipe promet de tenir bon malgré les intimidations.
Nguyen Chi Tuyen est confiant: "Ils ont fait de leur mieux ces six dernières années, mais ils ont échoué".
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