"Marquez bien le virage !", lance à ses élèves Juana Chicaiza, ex-reine de beauté de l'ethnie puruha, qui a fondé l'agence de mannequins "Awkis y Ñustas" (princes et reines, en langue kichwa), tandis qu'elle explique comment porter avec élégance l'"anaco", la jupe des indigènes des Andes.
Cette femme au yeux bridés et à la longue chevelure brune sait de quoi elle parle: alors qu'elle participait à un concours de beauté, elle a essuyé les moqueries du public à cause de sa tenue.
Loin de la décourager, cette expérience l'a poussée à créer son agence pour "renforcer l'identité" des puruha sur les podiums, où l'on peut voir désormais des tenues mêlant "l'occidental et l'ancestral", explique cette entrepreneuse de 32 ans.
"Dans le monde hispanique, on cherche (à ce que les mannequins) aient (des mensurations) de 90-60-90, un corps et un visage fins. Nous, on ne recherche pas ça. On veut qu'elles aient du caractère", explique à l'AFP Mme Chicaiza.
Les indiens représentent, selon leurs organisations, 30% des 16,5 millions d'Équatoriens. De son côté, le recensement officiel fait état de 7% d'indiens, certains habitants ayant du mal à se reconnaître comme tels.
Lucia Guillin et Franklin Janeta, tous deux issues de l'ethnie puruha, ont créé il y a quelques années leurs propres marques de mode indigène, Churandy et Vispu.
A des prix qui vont de 150 à 800 dollars, ils écoulent des hauts et des jupes, ornés de fleurs brodées à la main. Les pièces les plus chères sont destinées aux mariées et aux reines de beautés, elles sont décorées avec des pierres et des broderies.
'Plus modernes'
"Nos vêtements puruha ont disparu et les jeunes ont commencé à s'habiller à l'occidentale", explique Mme Guillin, qui porte une de ses créations laissant voir ses épaules.
Tout en conservant les ornements traditionnels, tels les fleurs et le soleil, ces créateurs ont revisité les habits traditionnels avec des coupes plus osées.
Avant, il n'y avait pas de hauts "décolletés ou avec des manches courtes. Je me suis dit: +Et si on changeait?+ car les jeunes filles aiment les choses un peu plus modernes", explique M. Janeta.
Grâce à ses créations, Mme Guillin est parvenue à ce que l'anaco, que les femmes puruha avaient cessé de mettre par commodité ou à cause d'un sentiment de honte, soit porté fièrement à nouveau.
"Je fais des coupes (...) fendues au niveau des jambes, car il faut en finir avec cette idée que les indiens sont fermés. Si on continue avec ça, on risque aussi de perdre notre culture", estime Guillin.
Selon M. Janeta, qui réalise quelque "12.000 dollars par mois" de chiffre d'affaires, les clients prennent conscience de la valeur des habits indigènes et sont prêts à payer des prix élevés.
"On apprend aux gens à faire la différence entre plusieurs qualités. Avant, on avait du mal à vendre un haut à 60 dollars. Ce n'est plus le cas. Ils payent jusqu'à 400 dollars pour un corset", explique-t-il.
A cette génération de créateurs indigènes, s'ajoutent Esther Miranda, José Mullo et Jacqueline Tuquinga qui ont lancé la marque de parfums Yuyary (souvenir, en kichwa) avec laquelle ils visent un large public.
"Comme c'est une marque en kichwa, on pense que c'est pour nos communautés (indigènes), mais notre produit vise les indiens et les métis. On veut aller au-delà", souligne Mme Miranda.
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