Le soir du 14 juillet 2016, à côté du tueur abattu, les enquêteurs tombent sur un portable encore allumé. Ils découvrent un étrange message envoyé par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à 22H27 peu avant de tuer 86 personnes et d'en blesser 450 autres en fonçant au volant de son camion sur la foule venue en masse admirer le feu d'artifice. Sur la Promenade des Anglais dévastée, une enquête difficile commence.
- Quel rôle pour les suspects?
"Ramzy (...) Je voulais te dire que le pistolet que tu m'as donné avant-hier est très bien. Dis à ton copain qui habite au 7, rue Miollis (...) qu'il nous [en] ramène cinq. Chokri et ses amis sont prêts pour le mois prochain (...)"
Des noms, des adresses, une date qui fait craindre une autre menace, peut-être le 15 août... Autant d'indices intrigants qui lancent les enquêteurs sur la piste de possibles complices. Six personnes sont rapidement interpellées, puis trois autres en décembre. Lors de leurs auditions, certains avaient affirmé avoir été manipulés par le tueur. Tous écroués, plusieurs sont soupçonnés d'avoir joué un rôle dans la fourniture des armes, d'autres d'avoir pu influer sur la personnalité instable de l'auteur de l'attaque ou de l'avoir accompagné lors de ses nombreux repérages avec son camion. Mais étaient-ils au courant des intentions macabres du chauffeur-livreur tunisien de 31 ans? A ce stade aucun élément ne permet de l'affirmer, un constat qui laisse entrevoir des questions futures sur le maintien ou non de la qualification terroriste des mises en examen de certains suspects.
- L'absence de lien avec le groupe EI
Aucune allégeance, ni message ou contact avec un membre de l'organisation Etat islamique: la quantité d'exploitations menées dans les téléphones et le matériel informatique du tueur n'a pas permis à ce stade de déceler le moindre lien direct avec l'EI qui avait pourtant revendiqué l'attentat au camion, un mode opératoire préconisé dans les appels aux meurtres lancés par le groupe jihadiste depuis la zone irako-syrienne. L'enquête qui va durer encore de longs mois permettra peut-être de lever cette énigme.
- Une revendication opportuniste?
Une hypothèse "probable", affirme aujourd'hui une source proche de l'enquête. Dès le début, l'absence d'allégeance ou de testament justifiant l'attaque au nom du groupe EI avait conduit les enquêteurs à émettre des doutes sur sa revendication tardive intervenue 36 heures après. Dès le 17 juillet, les policiers de la DGSI estiment que l'utilisation de la mention "source sécuritaire" apparaît "comme inhabituelle au regard des communiqués de l'EI ayant revendiqué" d'autres actions isolées "qui n'ont jamais mentionné cette expression", selon une source proche du dossier. Des éléments qui ne permettent "donc pas de déterminer si l'intéressé a répondu par son action à une suggestion diffusée de façon générale par l'EI, ni le degré d'implication de cette organisation dans l'élaboration de cette action", concluent-ils dans leurs investigations.
- Un profil énigmatique
Dans son projet implacable mûri des mois auparavant, le tueur a laissé bien des secrets. Quelles étaient ses réelles motivations? Pourquoi par exemple avait-il emporté un vélo dans son camion? Une autre attaque était-elle prévue un mois plus tard? Le profil de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel n'avait jamais activé le radar des services antiterroristes. Mais les nombreuses consultations de sites de propagande jihadiste retrouvés par les enquêteurs montrent qu'il avait nourri une fascination pour les images d'exactions de l'EI et la violence morbide. "Il y a un mélange de radicalisation (islamiste), de fascination pour l'ultra-violence sur fond de troubles psychologiques", a analysé une source proche de l'enquête.
A-t-il trouvé un sens à sa dérive dans les appels aux meurtres lancés par l'EI? L'un des suspects écroués, Chokri Chafroud, considéré par les enquêteurs comme "un mentor influent", avait envoyé au tueur trois mois plus tôt: "Charge le camion, met dedans 2.000 tonnes de fer (...) coupe lui les freins mon ami, et moi je regarde".
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