A "la Plage bleue", secteur nord de Lattaquié, des blocs d'appartements à la peinture blanche défraîchie accueillent depuis belle lurette des centaines de milliers d'Alépins ayant fui les violences dans l'ex-capitale économique de Syrie.
Leur nombre était tel que les déplacés avaient baptisé le quartier "la plage des Alépins". Mais depuis la reconquête par l'armée syrienne de l'ensemble d'Alep en décembre, la demande de location a chuté et les déplacés sont moins visibles.
"Entre 40 à 50% des (Alépins) dans ce secteur sont rentrés", affirme à l'AFP M. Daqaq, qui gère un bureau de location d'appartements dans ce secteur, à quelques pas de la plage.
D'après les estimations du gouvernorat de Lattaquié, plus de 30% des quelque 700.000 déplacés de la ville et de la province d'Alep ont quitté la ville côtière. Mais beaucoup sont restés car ils y ont fait affaire ou parce que leur maison est complètement rasée.
"Depuis six mois, plus aucune famille d'Alep n'est venue louer d'appartements pour un mois ou pour un an", poursuit M. Daqaq, un homme de 42 ans à la barbe bien taillée.
La Plage bleue "est à moitié vide", souligne-t-il, avant de poursuivre une partie de cartes avec ses amis.
'Ici, j'ai un emploi'
Sur les balcons, des bâches en plastique frappées du logo du Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) ont depuis longtemps remplacé les rideaux. A l'entrée des bâtiments pendent des fils électriques. Un peu partout se dégage une odeur de pommes de terres frites.
Lattaquié a vu sa population presque doubler avec l'arrivée de déplacés des quatre coins de la Syrie, notamment d'Alep. L'économie de ce fief loyal au régime syrien, qui comptait surtout sur les revenus de son port et ses plages en été, a été dynamisée grâce aux Alépins qui y ont ouvert de petites ou moyennes entreprises.
"Les Alépins sont connus pour être des travailleurs", explique M. Daqaq. "La plupart des (déplacés) ont fait leurs affaires ici: ateliers de couture, confection de chaussures, de vêtements, commerces et certains ont acheté des terrains, des usines".
A la Plage bleue, c'est l'une des raisons pour lesquelles quelques milliers de déplacés sont restés.
Au rez-de-chaussée d'un bâtiment transformé en atelier de confection de chaussures, Talal se repose en compagnie d'autres ouvriers.
"Au moins ici, j'ai un emploi", dit le jeune homme hâlé de 22 ans, qui habitait Bab al-Nayrab, dans l'ex-secteur rebelle d'Alep. "Si je rentre à Alep, rien ne garantit que je vais avoir du boulot".
Son patron Ayham, également d'Alep, fait remarquer que sur les 10 ouvriers originaires de la ville, il ne lui en reste plus que quatre.
'Tout a été pillé'
Mais ce ne sont pas seulement les affaires qui retiennent les déplacés: la plupart ont leur maison détruite.
Dans son appartement extrêmement modeste, Oum Mohammad s'assoit sur le matelas qui, avec un vieux sofa, constitue les meubles du salon. Elle dort là avec son mari, les quatre autres membres de la famille se partageant les deux autres pièces.
Elle se souvient avec émotion de sa maison alépine traditionnelle à Chaar, dans l'ex-fief rebelle d'Alep, avec son beau patio et ses cinq grandes chambres.
"Elle est aplatie", dit cette femme ronde, couverte d'un voile blanc.
"Mes fils sont allés inspecter la maison et le plafond est littéralement effondré sur les meubles, les dalles sont éventrées, ce n'est pas habitable du tout", assure Oum Mohammad, qui n'a pas revu son foyer depuis quatre ans et demi.
Jamais elle n'aurait imaginé que la province qui était autrefois synonyme de sorties en famille allait devenir sa terre d'exil.
"On s'amusait tellement avant, on venait à la plage de Lattaquié. Aujourd'hui, nous pleurons nos maisons, nos fils, nos morts".
Même son de cloche chez la famille d'Oum Qassem, ancienne habitante de la vieille ville d'Alep.
"Je suis allée une fois inspecter la maison, il n'y a plus de chambre à coucher et tout a été pillé. Si on revient, il faut recommencer de zéro", dit-elle, entourée de ses quatre enfants.
Pour payer des loyers variant entre 50 à 100 dollars par mois -- somme importante pour un Syrien aujourd'hui--, sa famille compte sur le fils couturier ou deux des filles employées chez un dentiste.
"A Alep, il y a pas encore d'infrastructures", explique Jana, une de ses filles, en pyjama couleur turquoise.
"C'est un exil, quoi qu'on dise, mais au moins ici on a de l'eau et de l'électricité", dit la jeune femme de 25 ans en fumant une chicha.
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