"Nous briserons les murs de la peur", a déclaré à la foule Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP), au terme de 25 jours de marche. "Le dernier jour de notre marche est un nouveau départ".
La foule s'étalait sur une grande esplanade en bord de mer, près de la prison de Maltepe, un quartier d'Istanbul, où est incarcéré Enis Berberoglu, un député CHP condamné à 25 ans de prison pour avoir fourni au journal d'opposition Cumhurriyet des informations confidentielles.
Kemal Kiliçdaroglu, qui a parcouru près de 450 km sans insigne partisan et avec "Justice" comme seul mot d'ordre, a rallié une foule croissante tout au long de sa marche, attirant des milliers d'opposants au président Recep Tayyip Erdogan.
Cette initiative, sans précédent en Turquie, est la plus grande manifestation de l'opposition depuis le mouvement contestataire de 2013. Selon le CHP, plus de deux millions de personnes étaient réunies dimanche soir, mais ces chiffres ne pouvaient être vérifiés dans l'immédiat.
D'habitude, seul le président Erdogan parvient a rallier de telles foules à ses meetings.
"Nous avons marché pour la justice, nous avons marché pour le droit des opprimés, nous avons marché pour les députés emprisonnés, nous avons marché pour les journalistes incarcérés, nous avons marché pour les universitaires limogés", a déclaré M. Kiliçdaroglu, régulièrement interrompu par les "Droits, loi, justice !" criés par la foule.
"Coup d'Etat civil"
L'opposition en Turquie dénonce une dérive autoritaire du chef de l'Etat, notamment depuis le feu vert donné par référendum en avril à un renforcement de ses pouvoirs et depuis les purges effectuées après la tentative de putsch il y a un an : environ 50.000 personnes ont été arrêtées et plus de 100.000 limogées ou suspendues de leurs fonctions.
La police turque a encore arrêté mercredi huit militants des droits de l'homme, dont la directrice d'Amnesty International Turquie.
Condamnant vigoureusement la tentative de putsch faite le 15 juillet dernier par des militaires factieux, M. Kiliçdaroglu a tout autant critiqué les purges opérées dans le cadre de l'état d'urgence instauré dans la foulée, qu'il qualifie de "coup d'Etat civil".
"Nous avons marché parce que nous nous opposons au régime d'un seul homme", a-t-il dit dimanche. "Nous avons marché parce que le pouvoir judiciaire est sous le monopole de l'exécutif".
"Légende"
Ce responsable politique de 68 ans avait demandé à ce que ne soient brandis au cours de ce rassemblement "que des drapeaux (turcs), des bannières réclamant la justice et des portraits d'Atatürk", le père fondateur de la République turque moderne et laïque.
Le gouvernement a considéré cette marche avec mépris. Le Premier ministre Binali Yildirim a même estimé vendredi qu'elle commençait à "devenir ennuyeuse". "Cela doit prendre fin après le rassemblement", a-t-il dit.
Le président Erdogan, quant à lui, a accusé M. Kiliçdaroglu de se ranger du côté des "terroristes" et l'a même mis en garde contre une possible convocation judiciaire.
Mais les autorités n'ont pas empêché la marche et ont déployé chaque jour les forces de l'ordre nécessaires à sa sécurité. Dimanche, quelque 15.000 policiers ont été mobilisés pour encadrer le rassemblement de Maltepe.
Tout au long de son périple, le chef de l'opposition se reposait le soir dans une caravane, après des journées pendant lesquelles il avançait d'un bon pas, selon des témoins.
Les soutiens de M. Kiliçdaroglu ont comparé cette initiative à la célèbre "marche du sel" de Gandhi en 1930 contre le pouvoir britannique en Inde.
"Nous avons écris une légende", a répété à plusieurs reprises M. Kiliçdaroglu. "Vous avez écrit l'histoire".
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