Au menu: tartare de boeuf ("kebbé") et caviar de poivron ("muhamra"), blé vert rôti à l'épaule d'agneau ("farikeh"), suivi d'un mystérieux "halawet el jeben" en dessert -- une "douceur ancestrale" au fromage venue du centre de la Syrie.
"Le kebbé, c'est très connu à Damas et à Alep. On mange ça en famille le vendredi", explique le chef d'un jour, en malaxant la viande crue et le boulghour dont il formera de délicates boulettes, décorées d'un cerneau de noix et d'une feuille de menthe.
Un menu concocté avec les patrons des "Pantins", bistrot gastronomique à l'ambiance bohème de cette ville limitrophe de Paris, à l'occasion du Refugee Food festival, un festival itinérant qui tient sa troisième édition à travers l'Europe jusqu'au 30 juin.
Le principe est simple: le temps d'une journée, des restaurants ouvrent leurs cuisines à des chefs ayant fui la Syrie, l'Inde ou l'Erythrée, avec un triple objectif.
D'abord, bien sûr: "faire découvrir des cuisines venues d'ailleurs", explique le co-fondateur, Louis Martin.
Mais aussi "changer le regard sur les personnes réfugiées en sortant des discours misérabilistes et anxiogènes" et "donner une première opportunité professionnelle au cuisinier", puisqu'"on demande aux restaurants de recommander les cuisiniers si l'expérience s'est bien passée".
Ancien ingénieur informatique arrivé il y a un an et demi de Syrie, Nabil Attar espère profiter de ce coup de pouce pour réaliser son rêve: "ouvrir un bon restaurant à Orléans", ville du centre de la France, où il est installé avec femme et enfants.
"On est venu ici pour travailler, pas pour traîner chez nous. Moi j'ai travaillé dès le lendemain du jour où j'ai eu le droit. La France, c'est mon pays", assure-t-il.
'Juste retour des choses'
Après le succès de sa première édition, le Refugee Food festival, lancé sur onze restaurants à Paris en 2016, est passé à la vitesse supérieure avec plus de 80 restaurants "pour tous les goûts et toutes les bourses", dans treize villes européennes dont Rome, Bruxelles et Athènes. "On a reçu des mails des quatre coins du monde de gens demandant: +Venez faire un festival chez nous!+", se félicite M. Martin.
"Le but c'est pas de faire un étalage technique de nos compétences, mais de faire deux services ensemble et de partager un petit bout de route", assure Walid Sahed, co-propriétaire des "Pantins de Pantin", qui assure avoir "immédiatement dit oui" à l'idée d'ouvrir son restaurant: "la cuisine, c'est un métier de partage".
"On manque de bienveillance. N'importe qui peut être à la place de ces gens qui doivent changer de pays", ajoute le jeune homme né en Algérie. "Je me suis intéressé au patrimoine de la cuisine française, j'en fais partie maintenant, j'en suis fier et c'est aussi ça la France: la mixité, l'enrichissement. Nabil c'est la France de maintenant et de demain".
Dans la salle du restaurant, les clients commencent à s'installer, attirés pour certains par la présence du chef d'un jour. "Je suis curieuse de découvrir cette cuisine", explique Laura, elle-même dans la restauration, qui voit dans l'initiative "un juste retour des choses: il y a plein d'étrangers qui travaillent en cuisine".
D'autres n'étaient pas au courant mais jouent le jeu, à l'instar de Cécilia qui se régale en famille de l'agneau rôti. "C'est une bonne chose de mettre en valeur les réfugiés. On entend trop de choses négatives".
Un message que les organisateurs du festival comptent porter encore plus loin, alors que la "crise des réfugiés" perdure: pour l'édition 2018, des contacts sont déjà pris à Washington, à Montréal et à la Nouvelle-Orléans.
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