Pour l'élite égyptienne, ces "gated communities" ou "compounds", inspirées des résidences privées très populaires aux Etats-Unis, sont devenues le seul échappatoire dans une mégalopole chaotique de quelque 20 millions d'habitants, surpeuplée et polluée.
La tendance, lancée à la fin des années 1990, traduit le fossé grandissant entre les classes sociales, estiment des économistes.
"Il y a de jolis paysages, une belle vue, alors que là-bas (au Caire), il y a des ordures partout", explique Mme Khalifa, installée avec son mari dans un compound à l'est du Caire.
Comme cette trentenaire, les riches Cairotes fuient des rues bruyantes et paralysées par de gigantesques embouteillages. Ils se retrouvent dans le calme et la verdure luxuriante des résidences fermées qui poussent comme des champignons aux portes du désert, avec terrains de golf, piscines et salles de sport.
"Vous payez plus pour l'entretien, mais ils vous fournissent une meilleure sécurité", poursuit Mme Khalifa.
Minorité
Elle fait toutefois partie d'une minorité de privilégiés, dans un pays où le pourcentage d'Egyptiens vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 16,7% en 2000 à 27,8% des 90 millions d'habitants en 2015, selon des statistiques officielles.
Et à l'ouest du Caire, dans la banlieue du 6-Octobre, Mohamed et plusieurs ouvriers journaliers attendent en bordure de route de trouver un petit boulot qui leur apportera leur salaire de la journée.
Tous vivent dans le même appartement et dorment à même le sol. "On mange des fèves matin, midi et soir", ironise Mohamed, originaire de la province de Souhag, dans le sud.
Installé au Caire depuis deux ans, le jeune homme de 18 ans a dû abandonner l'école pour travailler.
A travers un projet évaluant la répartition des revenus en Egypte sur la base des prix de l'immobilier, un économiste de la Banque mondiale, Roy van der Weide, a constaté que les inégalités étaient "bien plus élevées que ce que peuvent suggérer les estimations des sondages conventionnels".
Pour relancer une économie à la traîne depuis la révolte de 2011 qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir, l'Egypte a obtenu un prêt de 12 milliards de dollars du Fond monétaire international (FMI) en contrepartie de réformes économiques drastiques.
Les autorités ont ainsi libéré le taux de change de la livre égyptienne, faisant chuter de moitié sa valeur face au dollar, taillé dans les subventions publiques allouées au carburant et adopté une taxe sur la valeur ajouté (TVA). Des mesures qui ont entraîné une forte hausse de l'inflation.
Risque de grogne sociale
Pour éviter la grogne sociale, le gouvernement a annoncé un programme d'aides de 2,5 milliards de dollars, prévoyant des exemptions fiscales et une hausse des salaires des fonctionnaires et des allocations chômage.
Le gouvernement a également maintenu les subventions allouées aux denrées alimentaires, qui permettent aux plus démunis d'obtenir certains biens de première nécessité, comme le pain, l'huile ou le riz, à bas prix.
"Ces mesures ne sont que des analgésiques", estime toutefois Heba el-Laithy, professeur de statistiques à l'université du Caire. "Les gens réduisent leur consommation de nourriture et déscolarisent leurs enfants pour les faire travailler", déplore-t-elle, estimant que la pauvreté touche actuellement 35% de la population.
Selon elle, le gouvernement pourrait fournir de meilleurs services d'éducation et de santé en les finançant grâce à un système d'imposition progressif, qui taxerait plus sévèrement les plus aisés.
Mais les autorités rechignent à adopter une telle réforme, estime Salma Hussein, chercheuse sur l'inégalité au sein de l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), une ONG locale.
"Il y a une sorte de collusion. Les classes aisées disent au gouvernement: laissez-nous faire des profits sans des impôts élevés. Nous ne réclamerons pas de démocratie et construirons nos propres communautés", explique Mme Hussein.
Pour M. van der Weide, combler les inégalités est un défi difficile à surmonter "si l'élite vit coupée du reste de la société".
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