Cette transaction de 13,7 milliards de dollars, la plus grosse jamais effectuée par le groupe de Jeff Bezos, annoncée vendredi, va bouleverser le paysage des supermarchés traditionnels, s'accordent à dire les experts.
"Elle change la donne", estime Stew Leonard, analyste pour le cabinet éponyme, parce qu'elle intervient à une période délicate pour les supermarchés traditionnels américains.
D'un côté, ils voient débarquer les discounters allemands dont la politique de prix bas va mettre de la pression sur leurs marges, estime Neil Saunders chez GlobalData. Lidl et Aldi ont tous deux annoncé ces derniers jours l'ouverture de magasins aux Etats-Unis, dont certains dans l'Amérique profonde, chasse gardée des enseignes locales.
De l'autre côté, les supermarchés traditionnels américains étaient en train de se lancer dans le commerce en ligne afin de combler un écart monstrueux avec Amazon. Ils doivent maintenant protéger leurs acquis, alors qu'ils sont confrontés à une baisse des ventes. Près d'une vingtaine d'enseignes alimentaires ont déposé le bilan lors des trois dernières années.
"Amazon est déterminé à faire exploser le marché des denrées alimentaires et une enseigne comme Whole Foods apporte avec elle beaucoup d'ingrédients cruciaux qui manquaient au géant du commerce en ligne", avance Fraser McKevitt, expert chez Kantar Worldpanel.
Guerre des prix
Les cartes du secteur, dominé par Wal-Mart (14,46% de parts de marchés), Kroger (7,17%), Albertsons (4,50%), South Eastern Grocers (3,89%), Ahold Delhaize (3,18%), Costco (2,43%), Publix (2,25%) et Target (2,12%), vont être complètement redistribuées.
Avant Whole Foods, Amazon disposait d'une présence très faible dans l'industrie alimentaire: le groupe a lancé en 2007 AmazonFresh, un service de livraison de produits alimentaires frais, et teste depuis peu Amazon Go, un concept de magasin physique sans caissiers à Seattle (nord-ouest).
Il va vraisemblablement s'appuyer sur Whole Foods, présent dans trois pays (Etats-Unis, Canada et Royaume-Uni) avec 436 magasins, pour devenir très rapidement un acteur important.
La banque JPMorgan Chase estime qu'Amazon pourrait transformer les supermarchés Whole Foods en "hubs" pour donner un coup de fouet au segment des denrées alimentaires fraîches en ligne et contribuer à en baisser "significativement" les prix. Le "bio" cesserait d'être une niche, tandis que la livraison à domicile gratuite pourrait devenir la norme.
Pour ne pas se laisser distancer, "les supermarchés traditionnels vont devoir apprendre à vendre de la viande fraîche, du poisson frais à des prix bas parce qu'Amazon est réputé pour casser les prix dans tous les secteurs qu'il a bouleversés", renchérit Stew Leonard.
Une telle stratégie reviendrait à sacrifier les bénéfices alors que les marges sont déjà comprimées entre 2% et 5% mais Randy Burt chez A.T Kearney estime que les enseignes traditionnelles n'ont pas le choix: la génération des "Millenials" (17-35 ans) réclame, selon lui, des aliments avec moins ou pas d'antibiotiques, moins d'édulcorants, de colorants, d'hormones et pas de matières grasses hydrogénées ni de conservateurs.
Chez Wal-Mart, on se prépare déjà à la guerre des prix bas et on assure que la gamme de produits frais proposée dans les 4.500 supermarchés américains va être étoffée dans les prochains mois.
Consolidation ?
"Nos clients sont en quête d'expérience d'achats leur offrant des petits prix au quotidien et leur permettant de disposer de canaux d'achats physiques et virtuels suivant leurs besoins", insiste auprès de l'AFP Randy Hardgrove, un porte-parole.
Les enjeux sont particulièrement importants pour le numéro un mondial de la distribution: 56% des 307 milliards de dollars de revenus engrangés aux Etats-Unis lors du dernier exercice fiscal clos fin janvier provenaient de l'alimentaire, soit 172 milliards.
Outre les prix, les enseignes classiques vont également devoir se réinventer, quitter les "malls" -- centres commerciaux géants et aseptisés, symboles du consumérisme américain -- pour devenir des lieux "joyeux" et de "divertissement" afin de préserver leur fréquentation.
D'autant qu'Amazon semble avoir de l'avance sur ce terrain avec la technologie "Go", qui permet de ne plus passer par la caisse pour payer ses emplettes, avance JPMorgan.
Sans compter qu'en alliant la distribution alimentaire à son savoir marketing basé sur le suivi des habitudes de consommation en ligne de ses clients, Amazon pourrait gagner une influence monopolistique.
Un développement qui pourrait susciter la vigilance des autorités anti-trust américaines.
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