En perdant sa majorité absolue au Parlement, d'après les projections, la cheffe du gouvernement conservateur a non seulement raté son pari de renforcer son autorité. Elle a également jeté le trouble sur sa capacité à imposer sa ligne lors des discussions avec Bruxelles, censées commencer dans dix jours, estiment les experts.
Chantre d'un Brexit "dur", incluant la sortie du marché unique, Mme May a convoqué ces législatives anticipées pour avoir les coudées franches et faire fi des réticences éventuelles au sein de son parti.
A la place, "elle se retrouve fortement affaiblie avec un crédit politique très entamé au moment d'attaquer les négociations", souligne Keith Featherstone, spécialiste de politique européenne à la London School of Economics.
"Le résultat n'aura évidemment échappé ni à Angela Merkel, ni à Emmanuel Macron, ni à personne. Cela change la dynamique", insiste le politologue Paul Kelly, en pointant vers la chancelière allemande et le président français.
Le problème pour Mme May est double. Sur le plan international, sa réputation a pris un coup. "Désormais lorsqu'elle soumettra ses demandes" aux partenaires européens, "ceux-ci pourront dire: très bien, mais on verra", note Paul Kelly.
La Première ministre aura également du mal à imposer son autorité à son propre parti et risque d'être davantage redevable aux eurosceptiques de son camp.
"Si elle avait eu un mandat fort, elle aurait eu plus de poids pour régler des questions comme celle de la facture que Bruxelles réclame à Londres. Mais maintenant elle devra d'abord régler les problèmes dans son propre parti où certains diront qu'ils ne faut pas donner le moindre penny à Bruxelles", ajoute Paul Kelly.
'Chaos le plus complet'
Nigel Farage, ancien leader du parti europhobe Ukip, est inquiet. "Le Brexit est en danger", a-t-il dit, réfléchissant ouvertement à un retour aux affaires. "L'article 50 a été déclenché et nous sommes en route. May a mis tout ça en péril. Même (le ministre du Brexit) David Davids commence à faire des concessions", a-t-il tweeté.
Les anti-Brexit ont, eux, tout de suite cherché à profiter de l'occasion pour réclamer un virage dans la manière d'aborder la sortie de l'Union européenne.
"Les termes du Brexit doivent être négociés de manière radicalement différente", a lancé Gina Miller, une gestionnaire de fonds europhile qui a fait campagne pour le mouvement "Best for Britain".
"Les Britanniques n'ont pas voté pour ce Brexit dur, ils n'ont pas voté pour quitter le marché unique", a-t-elle martelé sur la chaîne ITV.
"Le principe du Brexit n'est pas remis en question. Mais les propositions du gouvernement si, sans même parler du calendrier. Le maintien dans le marché unique pourrait revenir sur la table", estime pour sa part l'ancien député tory et directeur du site "ConservativeHome", Paul Goodman.
La question du calendrier est celle qui se pose dans l'immédiat. Sans majorité absolue assurée, Theresa May va devoir essayer de former un gouvernement, ce qui pourrait être long et complexe. "C'est le chaos le plus complet et le plus total", souligne le professeur Tim Bale de la Queen Mary University de Londres.
L'avenir même de Theresa May à Downing Street est en question. "Ce pourrait même signifier la fin de sa carrière politique", tranche le Dr Mike Finn, chercheur à l'université de Warwick.
Ces graves turbulences, l'Union européenne espérait bien s'en passer. Selon plusieurs sources, Bruxelles souhaitait que les élections britanniques fassent émerger un leader fort pour un maximum d'efficacité dans les deux ans de négociations intenses prévus.
Vendredi à l'aube, on était très loin de ce scénario à Londres.
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