La crise, "je la vis depuis mes premiers souvenirs. Il y a toujours eu un problème de pauvreté à Porto Rico", confie la jeune fille de 17 ans, sous la chaleur lourde d'une fin d'après-midi tropicale. Un coq passe rapidement derrière elle sur la place du quartier connu pour ses dealers et où presque tous les enfants grandissent avec au moins un de leurs parents au chômage.
L'université publique de Porto Rico, Beraliz en rêve depuis toute petite. Mais l'institution centenaire est paralysée depuis des semaines par les grèves d'étudiants protestant contre les profondes coupes budgétaires ordonnées pour faire face à la crise que traverse l'île en faillite.
S'inscrire au risque de perdre, si les cours restent suspendus, cette bourse nécessaire pour l'une des trois enfants d'une mère célibataire aux faibles revenus… Elle n'a pas pris la décision à la légère.
"Même si je ne peux finalement pas commencer mes études à la rentrée, je veux participer à cette lutte", explique Beraliz, qui doit y suivre des études en ressources humaines après avoir obtenu un diplôme professionnel en marketing.
La tour emblématique de l'université de Porto Rico, dans le style ouvragé des années 1930, devait lui paraître bien loin quand elle grandissait dans les immeubles aux balcons souvent grillagés du quartier Luis Llorens Torres.
A quelques minutes à pied des cocotiers surplombant l'immense plage touristique d'Ocean Park, dans ce quartier les revenus moyens d'une famille s'élèvent à 3.650 dollars par an, contre 20.500 en moyenne à Porto Rico, selon les statistiques de l'Institut de développement de la jeunesse (IDJ), qui dépend de l'organisation d'aide à l'enfance Boys & Girls Clubs of Puerto Rico.
"J'ai dû grandir avant l'âge" avec une maman "brillante" mais accablée par des problèmes de santé, raconte Beraliz. Sur ce territoire américain majoritairement hispanophone, où les jeunes d'origine modeste parlent peu anglais, elle a acquis un excellent accent américain en regardant les clips sur MTV, dit-elle en riant.
Mais malgré les difficultés, Beraliz ne songe pas à quitter l'île en direction des Etats-Unis, comme l'a fait près d'un Portoricain sur dix fuyant la crise ces dix dernières années. "Mon coeur est ici", dit-elle.
- "L'autre visage" -
C'est pour mettre en lumière des réalités comme la sienne, appuyées sur des chiffres concrets que l'IDJ a été lancé, explique Eduardo Carrera, son président. "Nous voulons montrer l'autre visage de Porto Rico", où près d'un habitant sur deux (46%) vit sous le seuil de pauvreté, selon le recensement américain.
Loin de s'enfermer dans le pessimisme, il estime que la crise offre l'occasion de changer le modèle économique de Porto Rico, longtemps centré sur les grands groupes américains attirés vers l'île par des exonérations fiscales, supprimées en 2006.
Ce modèle "a maintenu 57% de nos enfants dans la pauvreté", assène Eduardo Carrera. L'avenir, il le voit plutôt "axé sur les petites entreprises, sur l'éducation".
Une vision qui sonne bien confiante à l'heure où de sévères coupes menacent encore plus profondément l'éducation publique, un secteur déjà durement frappé par l'austérité et l'exode des Portoricains.
Avec des salaires gelés depuis 2008, les enseignants ont quitté l'île par milliers et le nombre d'élèves a fondu de près de moitié depuis les années 1980, explique Aida Diaz, présidente de l'association des maîtres. Les autorités comptent désormais fermer plusieurs dizaines d'écoles primaires.
Parmi celles visées par le gouvernement dans une liste publiée soudainement début mai, l'école José Davila Semprit de Bayamon, en banlieue de San Juan, a finalement été sauvée in extremis. Autour du grand arbre trônant dans sa cour en terre battue, parents et enseignants se félicitent en partageant la bonne nouvelle.
Aida Diaz aussi s'en réjouit. "Cette île n'a pas de mines, ne produit pas de pétrole, sa richesse repose sur ses habitants. Si nous n'éduquons pas notre population, nous tuerons l'île".
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