Sur une île où l'éducation, comme la santé, est gratuite, Jose Antonio Torres et Beatriz Estevez font partie des nombreux Cubains ayant eu accès aux études supérieures. Mais beaucoup déchantent en intégrant un marché du travail aux salaires dérisoires.
Les actifs Cubains, dont 70% sont employés par l'Etat, gagnent en moyenne l'équivalent de 29 dollars mensuels. Le salaire d'un ingénieur ou d'un médecin dépasse à peine les 30 dollars.
Des revenus bien inférieurs à la moyenne latino-américaine et souvent insuffisants pour survivre, malgré la baisse récente des prix de certains produits et le maintien d'un panier de denrées de première nécessité subventionnés.
Selon l'économiste cubain Pedro Monreal, auteur de plusieurs études sur ce thème, les Cubains devraient gagner quatre fois plus (116 dollars) pour pouvoir remplir le panier d'une famille. Une situation qui pousse de nombreux travailleurs de l'Etat à abandonner leurs bureaux.
Métis de 38 ans, Jose Antonio recevait une vingtaine de dollars par mois comme infirmier. Il s'est résolu à troquer sa blouse pour le guidon d'un vélo-taxi élimé afin de nourrir ses quatre enfants. "En une journée je peux gagner la même chose, et même un peu plus, qu'un infirmier en un mois", confie-t-il.
De son côté, Beatriz Estevez, célibataire de 26 ans bientôt diplômée du barreau, se soumet chaque jour à une longue séance de maquillage avant de prendre la pose grimée en statue argentée devant les touristes parcourant la vieille Havane. Pour l'instant, elle n'est pas prête à embrasser sa carrière d'avocate.
"Dans un cabinet je ne gagnerais pas la moitié de ce que j'encaisse en ce moment", affirme à l'AFP la jeune femme aux long cheveux noirs. Elle peut amasser une vingtaine de dollars en une seule journée d'immobilité dans la touffeur émolliente de la capitale cubaine.
Un salaire pour des chaussures
Face au manque de perspectives, beaucoup ont choisi d'émigrer ces dernières années. Ceux qui restent, instituteurs, ingénieurs ou même acteurs de télévision, intègrent la florissante économie privée en devenant serveurs, chauffeurs de taxi ou en louant des chambres à leur domicile. Certains cumulent plusieurs emplois, d'autres optent pour une reconversion radicale.
Profitant des réformes de Raul Castro ayant ouvert l'économie au petit entrepreneuriat privé, ils sont aujourd'hui un demi-million à travailler à leur propre compte sur la grande île caribéenne.
"Ce ne fut pas une décision facile", confie José Antonio, très attaché à sa vocation médicale. Mais "je devais trouver une solution pour continuer à subvenir aux besoins de ma famille".
"Je n'imagine pas un travailleur latino-américain vivre avec 25 dollars par mois", s'étonne l'économiste cubain Pavel Vidal, de l'université Javeriana de Cali (Colombie).
En 2015, le pouvoir d'achat des Cubains ne représentait que 30% de ce qu'il était en 1989, juste avant la crise consécutive au démantèlement du grand frère soviétique, appuie l'expert.
En avril 2016, M. Castro avait admis que les salaires et retraites des employés de l'Etat étaient "insuffisants pour satisfaire les besoins élémentaires". Il avait alors fait baisser le prix de certains aliments.
Pour attirer les devises dans les années 1990, l'ancien président Fidel Castro avait ouvert le pays au tourisme et introduit un système de double monnaie provoquant des distorsions et menaçant l'idéal égalitaire socialiste.
Désormais, une minorité évoluant dans le secteur privé dépense ses pesos convertibles ("CUC"), qui équivalent aux dollars. La majorité se contente des pesos non convertibles ("CUP") au pouvoir d'achat beaucoup plus réduit.
Malgré un Etat qui "accorde une certaine protection" dans un pays au taux de chômage officiel très flatteur (2,4% en 2015), la dualité monétaire et l'inflation qu'elle engendre, ainsi que la faiblesse des réformes économiques et de l'investissement étranger pèsent in fine sur les bourses, estime M. Vidal.
"Il faut un salaire entier pour se payer une paire de chaussures", peste Jose Antonio.
Ainsi les Cubains préfèrent plus souvent épouser des carrières moins prestigieuses, mais plus lucratives. De 606.863 nouveaux inscrits à l'université en 2009-2010, on est passé à 173.298 en 2014-2015, révèle le Bureau national de statistiques.
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