Des quatre films français en compétition pour la Palme d'or, celui réalisé par Michel Hazanavicius ("The Artist") était le plus attendu. S'attaquer à un personnage aussi complexe que Godard, qui symbolise une certaine idée du cinéma défendu à Cannes, ne pouvait qu'aiguiser la curiosité du Festival avec lequel il a d'ailleurs une relation tumultueuse.
Ironie de l'histoire, la veille, la projection du film a été retardée d'une quarantaine de minutes en fin de journée en raison d'un objet suspect.
Et si c'était, presque cinquante ans après, "un coup de JLG lui-même", fantasmait-on sur les réseaux sociaux ?
L'édition 1968 avait, elle, été définitivement interrompue par Godard, François Truffaut et d'autres artistes solidaires des événements qui battaient leur plein en France.
L'artiste de 86 ans, retiré depuis longtemps en Suisse, travaille à son nouveau film, "Image et parole", que Cannes aurait bien aimé sélectionner cette année.
Pop et décalé
A ce titre, l'idée de réaliser un film sur un artiste vivant est peu courante. Mais rien ne dit que cela affecte l'intéressé, depuis bien longtemps éloigné du monde du VIIe art et qui ne veut plus revenir se montrer en mondovision à Cannes. En 2014, il n'est pas venu chercher le Prix du Jury, qui récompensa "Adieu au langage".
Pour raconter Godard, Hazanavicius a choisi de s'inspirer du livre "Un an après" d'Anne Wiazemsky, l'ex-épouse de l'icône de la Nouvelle Vague. L'histoire couvre la période 1967-1970 du couple.
Le réalisateur du "Mépris", qui anticipe et participe activement à mai 68 - ce qui ne l'empêche pas de résider un temps dans la villa du patron de presse Pierre Lazareff, grand soutien du général De Gaulle - connaît une violente remise en question artistique après l'échec de son film pro-Mao "La chinoise", avec sa femme au générique (Stacy Martin).
Au fil de séquences, irrévérencieuses mais pas trop, portées par un humour décalé et une réalisation pop, on découvre une personnalité odieuse, égocentrique, jalouse, qui finit par désespérer sa jeune femme, de 16 ans sa cadette, terriblement éprise.
Redoutable Garrel
Certaines répliques font mouche, on se prend à espérer qu'elles soient authentiques. Mais beaucoup d'autres tombent dans un oubli instantané. Michel Hazanavicius reconnaît lui même s'y perdre : "il y a des phrases que JGL a réellement dites et d'autres que j'ai écrites, mais je ne sais plus trop lesquelles appartiennent à qui".
L'art du pastiche, Hazanavicius le maîtrise pourtant depuis ses débuts de réalisateur qui l'ont mené au couronnement aux Oscars avec "The Artist" en 2011.
On retrouve dans "Le Redoutable" certains effets de "La classe américaine : le grand détournement", son téléfilm de 1993 dans lequel il faisait du montage sonore sur des images de films connus.
Ici, comme dans un jeu de miroir, Hazanavicius recrée une scène de "Vivre sa vie", film de Godard de 1962, où Anna Karina regardait au cinéma "La passion de Jeanne d'Arc" du Danois Carl Theodore Dreyer. Cette fois, c'est Jean-Luc et Anne qui sont dans la salle et leurs dialogues collent aux images muettes de ce film réalisé en 1927. Un procédé qui sert à marquer le moment où Anne, en pleurs comme Jeanne d'Arc, comprend qu'elle n'est plus en phase avec JLG.
Une inventivité trop rare dans ce "Redoutable", où Louis Garrel incarne totalement le personnage, dans un registre comique qu'on ne lui connaissait pas encore, jusqu'au phrasé si typique du cinéaste. Un mimétisme qui le met dans la course pour le prix d'interprétation.
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