Niveau moins 2, au bout d'un long couloir aux lumières blafardes, quelque 1.400 brancards franchissent chaque année les portes d'entrées du "service de soins de la chambre mortuaire" du XVIIIe arrondissement.
Samedi, exceptionnellement, à l'occasion des journées portes ouvertes de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), les visiteurs pourront découvrir une mission pour beaucoup taboue.
"Si l'on se fie aux sites d'information des établissements, dans un hôpital on fait tout sauf mourir", relève amusée la responsable du service Yannick Tolila Huet.
Conservés dans une chambre froide le temps d'organiser les obsèques, les patients décédés à l'hôpital Bichat ou Bretonneau sont suturés, nettoyés, puis rhabillés et maquillés suivant les volontés de leurs proches la veille de leur funérailles. Des soins de "présentation" différents des soins de conservation destinés à retarder la dégradation des corps pratiqués par le thanatopracteur.
"Ici c'est la dernière chambre des patients. Le dernier service public qui leur est offert", résume fièrement Christelle Plutus, aide-soignante dans ce chaleureux service de cinq personnes où rires et larmes se côtoient dans une ambiance surréaliste.
Robes de mariée à longue traîne pour certaines, lissage des cheveux ou bigoudis pour d'autres, survêtement du club de foot du PSG: les demandes pour la mise en bière vont des plus sobres aux plus extravagantes, énumère Mme Plutus en finissant de raser en musique, la moustache d'un défunt avec une pince à épiler.
"Un jour un fils au métier très sérieux a ramené des sous-vêtements coquins pour habiller sa mère et lui a essayé une trentaine de paires de chaussures", raconte un de ses collègues.
Outre la préparation des corps, le service aide les proches dans leurs démarches, les rassurent, écoutent des histoires de vie faites de relations familiales parfois conflictuelles.
"Certains en profitent pour vider leur sac, on les écoute, mais sans jamais porter de jugement", insiste Mme Tolila Huet.
'Prendre le temps qu'il faut'
"Si on doit faire preuve d'empathie, cela ne veut pas dire qu'on doit adopter une tête d'enterrement pour autant", prévient Mme Plutus. "Cela peut même être très folklorique et joyeux lors de certains rites religieux", soulignent les deux femmes pour qui exercer dans ce service "n'est que du bonheur".
"Avant on envoyait les gens qui avaient fait une erreur en leur disant: comme tu ne sais pas t'occuper des vivants tu vas prendre en charge les morts, aujourd'hui ce n'est plus le cas", se réjouit la responsable. Pour preuve, contrairement à d'autres services, les arrêts de travail sont "rarissimes", relève la cadre.
"On prend le temps qu'il faut, on n'a pas de pression", acquiesce l'aide-soignante qui n'hésite pas à parler aux morts.
"Je suis soulagée de ne plus voir des patients souffrir ou à qui l'on faisait croire à tort qu'ils allaient s'en sortir", explique de son côté Mme Tolila Huet, infirmière au service d'infectiologie pendant les "années Sida", puis en charge de l'hospitalisation à domicile sollicitée parfois pour les fins de vie.
"Admirative" de son équipe qui s'évertue chaque jour à "embellir des corps" avec autant de soins qu'ils soient indigents ou riches, connus ou inconnus, la quinquagénaire se dit depuis son arrivée dans le service "encore plus sensible aux petits plaisirs de la vie".
"En travaillant ici on n'oublie jamais que la mort arrive à n'importe quel moment", conclut l'infirmière dans les tréfonds de l'hôpital où l'on s'occupe des morts sur fond de Tropiques FM.
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