Baksh Dil Khan, un instituteur à la retraite, selle avec soin son cheval, sur lequel son épouse répand une pincée de farine pour attirer le bon oeil. Elle craint que le léger manteau de neige qui recouvre la vallée de Chapursan, proche de la frontière afghane, ne rende le terrain de jeu hasardeux.
Agé de 52 ans, ce moustachu solidement bâti fait partie de la vingtaine de personnes pratiquant encore dans cette région montagnarde ce sport brutal de réputation virile, qui reste pourtant très populaire dans les pays voisins.
Conformément à la tradition, une chèvre noire est conduite sur la piste pour être inspectée par les participants, qui l'observent et la soulèvent avant de donner leur accord d'un signe de tête.
L'animal est emmené puis ramené peu après sous la forme d'une carcasse sans tête et éviscérée, que l'on place au milieu d'un cercle tracé au centre du terrain.
Attraper la carcasse
Dans le succédané de guerre équestre qu'est le bouzkachi, l'objectif pour les cavaliers consiste à attraper la carcasse, la caler entre la jambe et la selle, galoper jusqu'à l'autre bout du terrain pour y faire le tour d'un mât, et revenir la déposer dans le cercle.
Les points ainsi marqués sont salués par une clameur enthousiaste du public qui hurle "halal" lorsqu'il les juge valides. Tous les habitants du village, plus d'une centaine de personnes, sont au rendez-vous.
Le bouzkachi est une vitrine idéale pour qui veut faire étalage de ses talents de cavalier. Et le vainqueur ne repart pas les mains vides. M. Baksh, qui a remporté le tournoi, reçoit 4.000 roupies (40 dollars), trois paquets de cigarettes et un téléphone portable.
"J'ai manqué me casser le cou pour ces trois paquets de cigarettes alors que je ne fume même pas", plaisante-t-il. Malgré son expérience, il est tombé deux fois de cheval pendant le match.
La légende veut que ce jeu servait à l'origine d'entraînement aux guerriers, qui jouaient avec le cadavre de l'ennemi.
Mais contrairement à l'Afghanistan ou d'autres pays d'Asie centrale où le bouzkachi reste immensément populaire, la tradition s'étiole au Pakistan, regrette M. Baksh.
"C'est en train de mourir, il ne reste plus qu'une demi-douzaine de vieux joueurs. La nouvelle génération ne s'intéresse pas beaucoup au jeu et nous n'avons qu'une douzaine de jeunes joueurs", explique-t-il.
Les chevaux, eux aussi, se font rares. Beaucoup de propriétaires ont vendu leurs bêtes, souligne Taj Muhammad, un autre joueur de 38 ans. "Le bouzkachi va devenir une chose du passé, une histoire pour nos enfants", sourit-il.
Pour l'anthropologue Aziz Ali Dad, ce déclin traduit le relâchement des liens culturels entre le Pakistan et ses voisins d'Asie centrale, où ce jeu a vu le jour.
Le peuple Wakhi, un petit groupe ethnique présent dans plusieurs vallées en Afghanistan, au Tadjikistan, dans le Xinjiang chinois et au Pakistan, en est friand. Mais la difficulté à franchir les frontières raréfie les contacts, si bien que le bouzkachi est "aujourd'hui au bord de l'extinction au Pakistan", souligne M. Aziz.
M. Baksh ne l'entend cependant pas de cette oreille: "Je continuerai à jouer, même si je suis le dernier. Le jeu doit survivre au moins jusqu'à ma mort".
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