"Un jour, ma copine m'a embrassée devant tout le monde sur le campus! Mon prof en est resté bouche bée", s'exclame Sinine Nakhlé lors de cette séance "micro ouvert" organisée par la Beirut Pride.
Cette plateforme de lutte contre les discriminations sexuelles, créée en 2016, a programmé cette semaine une série d'évènements à Beyrouth à l'occasion de la Journée internationale contre l'homophobie et la transphobie (IDAHOT) mercredi.
Il s'agit d'une première au Liban et dans le monde arabe, selon les organisateurs et les participants.
A Station, centre culturel d'avant-garde de la capitale libanaise, les participants ont pu prendre la parole devant 250 personnes pour partager leurs histoires en toute liberté.
"Je n'aime pas les hommes! J'aime les seins et les sexes de femme!", lance Léa, arrachant des rires à l'assemblée.
Le Liban est considéré comme plus tolérant à l'égard de l'homosexualité en comparaison à d'autres pays arabes, où les homosexuels peuvent encourir la peine capitale.
Mais la police libanaise mène régulièrement des descentes dans les boîtes de nuit et autres lieux fréquentés par les LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels).
Et les militants dénoncent un article du code pénal selon lequel les relations sexuelles "contre nature" sont illégales, avec une peine allant jusqu'à un an de prison.
"Ils voulaient me briser"
Lundi, les participants sont revenus sur une des mesures les plus avilissantes prises à l'encontre des homosexuels au Liban et dans des pays arabes.
Il y a trois ans, Joseph, la vingtaine, a subi avec d'autres hommes, les yeux bandés, un interrogatoire de six heures par les services de renseignement.
"On nous a menacé de nous faire passer un test anal et de nous emprisonner", témoigne ce militant LGBT, ému, devant un public silencieux.
Qualifiés de "tests de la honte", ces examens menés dans des commissariats de police avaient suscité l'indignation dans les médias et sur les réseaux sociaux. En 2012, l'Ordre des médecins au Liban avait interdit aux médecins de mener cette pratique.
"J'avais le sentiment qu'ils voulaient me briser", assure Joseph.
"Nous te renierons"
Dans ce petit pays multiconfessionnel, les familles restent majoritairement conservatrices au niveau des moeurs.
"Dans notre famille, on est des mecs. Si tu restes comme tu es, nous te renierons", s'est vu rétorquer Mahmoud lorsqu'il a révélé son homosexualité à son père.
Après lui avoir suggéré d'aller plus souvent à la mosquée, son père le force à voir des médecins. En vain.
Puis la sentence paternelle tombe: "Si tu veux rester comme ça, tu quittes la maison".
"Pendant un an, j'ai essayé d'être celui qu'ils voulaient que je sois, mais c'était l'enfer", confie Mahmoud timidement.
"J'avais deux choix: rester sous leur férule, ou les quitter. Je suis parti", conclut-il sous les applaudissements d'une assemblée enthousiaste.
Des dizaines de mains se lèvent alors pour prendre le micro, avides de témoigner.
Ghida, jeune lesbienne, se souvient encore de sa mère dévote en pleurs en lui disant: "Je ne veux pas que tu ailles en enfer".
"Cela m'a brisé le coeur", dit-elle.
"Elle qui lit régulièrement le Coran (...) avait vraiment peur pour moi".
Au-delà du cercle familial, les autorités religieuses libanaises, aussi bien musulmanes que chrétiennes, gardent un pouvoir prépondérant.
Dimanche, un colloque prônant la diversité sexuelle organisé par l'ONG pro-LGBT Proud Lebanon (Liban fier) a été annulé à la suite des pressions d'une association de théologiens musulmans, qui menaçaient de manifester devant le lieu de l'évènement.
Mais l'initiateur de la Beirut Pride, Hadi Damien, se dit confiant: "Le pouvoir ne s'est pas opposé à notre initiative. C'est déjà immense".
"C'est la première fois à Beyrouth qu'on a l'occasion de parler comme ça", se réjouit aussi Sinine. "Plus nous parlons (de l'homosexualité), plus nous réussirons à faire entendre notre voix à Beyrouth, et peut-être dans tout le Liban".
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