Moderne cité côtière de 580.000 habitants dans le nord du pays, Antofagasta abrite l'essentiel de l'activité minière du Chili, premier producteur mondial de métal rouge, dont il couvre un tiers de l'offre.
Jaqueline, 38 ans, a vécu cinq ans face au gigantesque port international d'Antofagasta, créé au XIXe siècle pour exporter le phosphate et maintenant dédié au cuivre, dont les chargements dégagent dans l'air une poudre noire.
Sur le toit de son petit immeuble, ses deux enfants ont joué des heures et des heures, exposés à cette poussière. Aujourd'hui, ils montrent tous deux des traces de métaux lourds dans leur organisme, selon le résultat d'examens médicaux pratiqués à l'étranger.
"C'est une condamnation à mort pour ma famille", assure, angoissée, leur mère alors que la région d'Antofagasta affiche le taux de cancer le plus élevé du pays.
La pollution a toujours rôdé dans la ville: dans les années 1960, l'alerte avait été donnée en raison des hauts niveaux d'arsenic dans ses eaux. Puis en 1998, les médecins avaient découvert avec effroi des indices de plomb supérieurs à la normale chez les enfants vivant près de la ligne de chemin de fer reliant le pays à la Bolivie.
Aujourd'hui, c'est cette poussière noire et dense qui inquiète. Elle salit les mains, on peine à l'enlever des balcons et des murs. Le vent de la côte la porte dans toute la commune.
Selon une étude de l'Institut de santé publique, cette poudre contient au moins 16 métaux différents. Le Collège médical d'Antofagasta y a décelé "des quantités d'arsenic, cadmium, zinc, chrome, plomb et manganèse dépassant largement les normes chiliennes".
Cadeau empoisonné
L'activité minière est le trésor le plus précieux de la commune qui, grâce à elle, affiche un revenu par habitant presque deux fois supérieur à la moyenne nationale (36.000 dollars par an, contre 20.000).
Mais c'est un cadeau empoisonné: ses habitants ont trois ans d'espérance de vie en moins par rapport au reste des Chiliens. La mortalité par cancer du poumon y est deux fois plus forte (34,7 cas pour 100.000 habitants, contre 16,1), les cancers de la vessie et de la peau sont aussi plus nombreux.
"Les scientifiques considèrent que dans la région d'Antofagasta, c'est une expérience biologique qui est menée, en exposant la population à ces niveaux de pollution", s'alarme le président du Collège médical d'Antofagasta, Aliro Bolados.
Jusqu'à présent, un facteur a été clairement identifié comme expliquant la hausse des cas de cancers et maladies cardiovasculaires: la grave exposition à l'arsenic entre 1958 et 1971. A cette époque, l'eau potable de la ville en contenait des niveaux en moyenne 86 fois supérieurs à la norme.
Les médecins s'inquiètent particulièrement pour les 16.000 habitants nés avant 1970, exposés très jeunes à cette substance toxique.
Ils ont aujourd'hui entre 40 et 50 ans, sont en majorité de grands fumeurs et ont un risque élevé de développer un cancer, selon les recherches de Catterina Ferreccio, sous-directrice du Centre d'études avancées sur les maladies chroniques, les épidémies et le cancer.
"C'est une génération entière qui a toutes ces choses (des maladies, ndlr), ce qui fait que, même s'ils ont le revenu par habitant le plus élevé, ils ont l'espérance de vie la plus faible du Chili", explique-t-elle à l'AFP.
Maintenant que les niveaux d'arsenic dans l'eau ont été ramenés à la normale, l'attention se reporte sur la pollution émanant du port d'Antofogasta, géré par l'un des plus importants groupes chiliens, Luksic. Il occupe une dizaine d'hectares dans le centre de la ville.
'Cette poussière te tue'
L'entreprise concessionnaire du port s'est engagée à améliorer ses pratiques, en signant en septembre 2016 un "Accord de production propre", qui implique également six grandes compagnies du secteur minier, portuaire, logistique… Il fixe des nouveaux standards en terme de transport et débarquement de marchandises, notamment le lavage des camions.
Pourtant, la justice a encore condamné le port en octobre pour pollution, lui infligeant une amende d'1,3 million de dollars. Et le port continue à fonctionner comme avant.
"Ils préfèrent sacrifier Antofagasta plutôt que le Chili arrête de gagner de l'argent", soupire Ricardo Diaz, du mouvement "Cette poussière te tue", qui exige de transférer le port à l'extérieur de la ville.
Alors que la présence de métaux lourds dans cette poussière a été prouvée, les autorités appellent au calme, affirmant que même les habitants les plus exposés resteraient à des niveaux de pollution inférieurs à la norme chilienne sur l'arsenic.
Mais des analyses officielles menées fin 2015 auprès de 243 enfants de crèches et écoles proches du port ont montré que 99,2% d'entre eux ont des niveaux de plomb dans le sang sous le seuil réglementaire.
Le Collège médical d'Antofagasta conteste toutefois ces résultats et exige des analyses de cheveux portant sur les taux de tous les métaux confondus.
Jaqueline Jiménez non plus n'avait pas confiance dans les analyses officielles, qui sont sanguines comme le veut la pratique internationale en matière d'analyses de métaux.
Alors elle a fait examiner les cheveux de ses enfants à l'étranger, même si la fiabilité de cette méthode est contestée: ils ont révélé une concentration élevée de métaux.
La maire de la commune, Karen Rojo, affiche sa bonne volonté, assurant à l'AFP vouloir "rendre obligatoires des analyses sur les enfants de un à six ans pour déterminer, chaque année, les dommages qui peuvent exister dans la population".
Dans l'incertitude des effets à long terme, les experts recommandent pour leur part de réduire à zéro l'exposition des enfants à ces substances dangereuses.
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