"Je dis toujours ce que je pense" et "je suis hors clan", affirme d'entrée de jeu l'architecte au look de rockstar. Odile Decq est peu connue du grand public dans son pays où elle a pourtant signé plusieurs projets importants, comme le siège de GL Events à Lyon ou Le Cargo à Paris, plus grand incubateur de start up d'Europe.
Elle est en revanche reconnue à l'étranger, comme en témoigne le choix du jury de l'Architizer Award, qui lui a décerné le "Prix pour l'ensemble d'une oeuvre" pour son "impact unique sur la profession".
Odile Decq est reconnue pour ses réalisations - telles le Musée d'art contemporain de Rome ou le Fangshan Tangshan Geopark Museum, en Chine - mais aussi en raison de son discours sur l'architecture : à 55 ans, elle répond toujours avec enthousiasme aux invitations à donner des conférences un peu partout dans le monde: six rien qu'en avril.
Volonté de transmettre, dit-elle, mais aussi l'occasion de "rencontrer des gens chaleureux et accueillants", et de tisser un réseau.
L'an dernier, Odile Decq a reçu le Prix Jane Drew pour son action en faveur des femmes architectes". En participant à des jurys, j'ai bien vu qu'elles sont cantonnées aux immeubles de logements, aux équipements éducatifs", explique-t-elle. "Citez-moi une femme qui ait réalisé un grand stade, ou le parlement d'un pays: aucune".
60% des étudiants en architecture dans le monde sont des filles. Elles ne sont plus que 30% inscrites dans les organisations professionnelles et seulement 10% à la tête d'une agence.
Depuis sa création en 1979, le prix Pritzker, le "Nobel de l'architecture", n'a couronné qu'une femme, Zaha Hadid, et deux agences avec des femmes associées.
Pourquoi cette discrimination ? "Sans doute parce que les femmes doivent se consacrer à leur famille et que les gros dossiers leur échappent", remarque Odile Decq, avant d'ajouter en souriant : "alors je dis aux étudiantes + ne vous mariez pas, ne faites pas d'enfants et devenez architectes+".
Une nouvelle école
Pour cette Bretonne d'origine, née à Laval (Mayenne) dans une famille catholique de sept enfants, "il est fondamental aujourd'hui de resituer l'architecture dans le monde".
"On est en train de quitter l'époque de l'architecte fabricant d'objet, qu'on pose ici ou là, alors que toute architecture doit être conçue pour un lieu". Une époque qui a aussi fabriqué le système des stars.
"Les architectes ont appris à faire face à des problèmes complexes, impliquant la sociologie, la technologie, le juridique, la géopolitique", dit-elle, avançant le concept d'+Architectural Thinking+" (mode de pensée architectural).
"De cette complexité, ils savent faire une synthèse, et leur proposition doit fonctionner sur le temps long, à toutes les échelles, du plus petit au plus grand, du local au territorial", développe Odile Decq, toujours vêtue de noir. "Cette capacité particulière d'envisager les problèmes, elle peut servir aux gestionnaires politiques, aux entreprises, aux communautés..."
Or les écoles d'architecture "oublient d'ouvrir le champ de la discipline". D'où sa décision de créer sa propre école à Lyon dans le quartier Confluence. Un établissement totalement privé, sans subvention publique, financé par les frais d'inscription des élèves (11.000 euros par an) et par l'architecte elle-même, qui s'est endettée et ne se paye pas.
L'Institut pour l'innovation et les stratégies créatives en architecture compte 22 étudiants du monde entier (Brésilien, Australien, Américain, Findandais...) et espère en accueillir entre 30 et 40 à la rentrée prochaine.
Le diplôme n'est pas validé en France, mais commence à être reconnu à l'étranger. Une procédure est en cours avec le RIBA (Royal Institute of British Architects).
"Moi j'envie les étudiants d'aujourd'hui, lance Odile Decq. A la fin du XXe siècle on a tout cassé, l'économie, la finance, la société.... Eux, ils doivent rêver le XXIe siècle, ensuite l'imaginer, puis le créer. Je leur dis +vous avez un siècle pour vous !+".
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