11 mai 1987, la salle des pas perdus du palais de justice de Lyon est transformée en salle d'audience géante: pour la première fois en France, un homme est jugé pour crimes contre l'humanité. Près de 150 parties civiles, représentées par 39 avocats, et 400 journalistes se pressent en bord de Saône.
Klaus Barbie, le "boucher de Lyon", ex-chef local de la Gestapo, comparaît pour la rafle de 86 juifs rue Sainte-Catherine, au siège lyonnais de l'Union générale des israélites de France (Ugif), en février 1943 ; pour celle de 44 enfants juifs et de sept encadrants dans la "colonie" d'Izieu (Ain) en avril 1944 et pour l'organisation d'un convoi de Lyon à Auschwitz le 11 août 1944.
L'ancien nazi de 73 ans, défendu par Jacques Vergès, quittera le banc des accusés au 3e jour d'audience, estimant avoir été extradé illégalement de Bolivie.
"Certains prétendaient que le procès, venant quarante ans après les faits, arrivait trop tard et qu'il ne servait à rien de rouvrir de vieilles cicatrices. D'autres estimaient que l'absence de l'accusé ôtait tout intérêt à ces audiences", écrivait l'AFP à l'époque.
Mais au final, il a fait l'effet d'"une véritable catharsis nationale parce que jusqu'alors, les victimes ne parlaient qu'à demi-mot. Et le fait que Barbie ne soit pas là a été une chance quelque part, qui a permis de braquer les projecteurs sur elles et pas sur son rictus", estime aujourd'hui Jean-Olivier Viout, assistant de l'avocat général du procès, Pierre Truche.
Il revoit encore cette petite femme, rescapée des camps, lui demandant des places pour que ses enfants et petits-enfants puissent assister à sa déposition. Parce que même à eux, elle n'avait jamais rien dit.
Pour l'ancien magistrat, dans le contexte actuel, il est impératif d'entretenir cette mémoire "pour tirer les leçons du passé et ne pas oublier comment un enfant normal peut devenir un fanatique assoiffé de sang". Mais comment faire tandis que les témoins disparaissent et que des lassitudes s'expriment ?
'Après moi, qui va raconter ?'
Alexandre Halaunbrenner a 85 ans. Ses deux soeurs ont été déportées après la rafle d'Izieu, son père et son frère ont été arrêtés à Lyon, puis tués.
"J'ai commencé à raconter au procès Barbie. Depuis je continue. Et non, ce n'est pas trop difficile car quand ça sort c'est comme si je m'analysais tout seul" mais "après moi, je vois pas qui va raconter", s'inquiète-t-il.
"On transmet la mémoire mais cette transmission est tellement difficile et les jeunes sont trop loin aujourd'hui, ils ne pigent pas. Ils me demandent: +mais pourquoi vous n'avez pas changé de religion ?+. Après nous, ce sera l'Histoire mais les historiens racontent ce qu'ils veulent", ajoute à ses côtés Roger Wolman, caché lui aussi un temps à Izieu.
Il existe cependant un document exceptionnel: le film des 37 jours d'audience, permis grâce à une loi de 1985 du ministre de la Justice de l'époque, Robert Badinter, dont le père Simon a été raflé rue Sainte-Catherine.
Ce document brut, sans commentaire ni plan de coupe, est d'une force inouïe. La projection d'extraits constitue le moment fort de la visite du Centre d'histoire de la résistance et de la déportation (CHRD) de Lyon.
Ce musée, ouvert en 1992, est un des héritages directs du procès Barbie, avec la Maison des enfants d'Izieu, rachetée puis transformée en mémorial deux ans plus tard.
"Il faut aider les gens à entrer dans la période très concrètement, par le vêtement, l'alimentation, la publicité", estime Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD qui défend une approche anthropologique de l'histoire. Et pour elle, "il est important de ne pas présenter qu'un point de vue français, mais aussi anglo-saxon ou nord-africain".
Au mémorial de la prison de Montluc de Lyon, lieu de détention de Jean Moulin et de bien d'autres résistants, et de juifs, sous l'Occupation, on défend aussi une approche universelle.
Car l'enjeu pour tous reste de "poursuive la réflexion sur l'inacceptable", comme le souhaitait déjà l'avocat général Pierre Truche dans ses réquisitions, et "de réveiller des consciences endormies ou persuadées que le retour de telles abominations est impossible", comme l'écrivait l'AFP dans son ultime compte-rendu d'audience.
Klaus Barbie fut condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité et mourut en prison quatre ans plus tard. En 1995, Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d'Hiv.
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