Et pourtant, Mohammed et Sadiq Bukar faisaient partie des quelque 300 écoliers, pour la plupart des enfants d'une dizaine d'années, enlevés par les combattants islamistes nigérians dans la ville de Damasak, à la frontière avec le Niger, le 24 novembre 2014.
Quelques mois auparavant, le monde entier s'était ému du kidnapping de masse de 219 lycéennes, la plupart chrétiennes, dans une autre ville nigériane, Chibok. Un mouvement de soutien avait vu le jour sur les réseaux sociaux sous le hashtag #BringBackOurGirls, repris dans le monde entier.
Mais aucun hashtag pour les enfants de Damasak. Faute d'information fiable, faute d'accès des médias à une région totalement inaccessible et faute de reconnaissance des politiques, ils ont disparu aussi vite dans les esprits que dans la brousse, où leurs ravisseurs les ont conduit de force.
Ils représentent l'une des nombreuses tragédies étouffées de ce conflit, qui a fait au moins 20.000 morts, obligé 2,6 millions de personnes à quitter leur foyer, et entraîné une terrible crise alimentaire dans toute la région du lac Tchad.
"Quand les combattants de Boko Haram sont arrivés, ils ont rassemblé tous les gamins dans une maison", se souvient leur soeur Yagana, qui a aujourd'hui 20 ans.
"Au début, Boko Haram contrôlait la ville, mais ils n'avaient rien brûlé encore, ils n'avaient tué personne", raconte-t-elle à l'AFP, assise sur un tapis de prières, juste devant leur maison en torchis.
Mais après une semaine d'occupation, le climat est tendu et les tueries se rapprochent. Comme des milliers d'habitants de Damasak, la famille de Yagana décide de fuir vers le Niger.
La jeune fille n'a plus jamais revu ses petits frères. "J'espère qu'ils reviendront bientôt", souffle-t-elle.
Perdue dans des souvenirs qu'elle n'a pas l'habitude de ressasser, la jeune fille se met à pleurer. "Ils me manquent vraiment. Ils sont toujours avec moi".
Mais les forces de sécurité nigérianes avouent n'avoir aucune information nouvelle pour localiser les enfants de Damasak.
"Si nous en avions, nous travaillerions dans ce sens", explique le commandant Muhammed Kaigama, en poste dans la ville depuis que l'armée à chasser les jihadistes en juillet dernier.
Atmosphère de paix
Les signes du conflit n'ont pas pour autant disparu, et les enseignes noires du groupe jihadiste restent ostensiblement incrustées sur les ruines des murs de la route principale.
La grande ville frontalière a néanmoins retrouvé le calme dans une région toujours dévastée par la guerre.
La route de 200 kilomètres qui mène à Maiduguri, la capitale de l'Etat du Borno, a été réouverte en décembre dernier et le premier hélicoptère humanitaire a pu se poser il y a un mois.
Le gouvernement local travaille à la reconstruction des infrastructures, les ONGs font des distributions de nourriture et apportent les soins de santé nécessaires. Elles ont repris les campagnes de vaccination contre la poliomyélite.
Les marchés s'animent et les enfants jouent avec des pneus. Si tout va bien, les écoles devraient réouvrir le mois prochain.
Dans une maison, la famille d'un tailleur récemment revenue du Niger célèbre le mariage de leur fille. Partout dans la ville règne une atmosphère de paix.
Les forces de sécurité expliquent ce calme par la division du groupe Boko Haram en août dernier. D'un côté, la faction dirigée par Abubakar Shekau, de l'autre celle d'Abou Musab Al Barnaoui.
Damasak, dans l'extrême nord, est sous contrôle d'Al Barnaoui, adoubé par le groupe Etat islamique (EI), qui a notamment critiqué Shekau pour les massacres de civils à répétition.
"Selon leur idéologie, ils ciblent plus l'armée et les militaires, mais ils ne sont jamais venus nous attaquer", souligne le commandant Kaigama.
La présence militaire est particulièrement importante dans la ville, et les patrouilles sont fréquentes à 30 kilomètres à la ronde autour de Damasak.
"Ceux de Shekau, ils nous tuent et nous pillent, mais ceux de Barnaoui, ils tuent seulement les soldats", poursuit Gudusu Kyari, 39 ans, qui n'oublie toutefois jamais son couteau à la ceinture.
L'armée nigériane est encore loin de contrôler tout le nord-est du pays, mais les habitants de Damasak peuvent rentrer chez eux, et tenter de reconstruire ce qu'ils avaient dû quitter.
Goni Modu Aji, agriculteur de 50 ans, peut d'ailleurs retourner aux champs, après avoir été réfugié pendant deux ans au Niger. Il cultive la terre, les yeux rivés sur le fleuve qui sépare les deux pays. "Ils ont seulement parlé de Chibok", lance-t-il. "Ils n'ont pas parlé des autres endroits".
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