Plus d'une décennie après que fut donné l'ordre de détruire la sucrerie Cuba Libre, dans la province de Matanzas, une poignée d'ouvriers s'échinent encore à l'aide d'une grue à démanteler sa structure d'acier rouillé au milieu de blocs de gravats.
L'usine, qui domine les champs sucriers verdoyants, a cessé d'opérer en 2004. Trois ans plus tard, le lent processus de démontage a démarré. Au bout du compte, seules subsisteront deux cheminées de béton éteintes.
Directeur des travaux, Eliecer Rodriguez confie à l'AFP que certains ex-employés sont encore émus aux larmes en passant devant le chantier. "Je la démonte, mais ce n'est pas moi qui ai pris la décision", se justifie-t-il.
Cette sucrerie fait partie de la centaine d'unités de production, sur environ 150, qui ont dû fermer dans le cadre d'une réorganisation de la filière initiée en 2002 pour relancer la productivité.
Les quelque 100.000 employés qui en ont pâti ont continué de percevoir leur salaire pendant quelques mois, avant de se rabattre sur de nouvelles activités pour nombre d'entre eux. D'autres sont partis à l'étranger.
"Fermer une sucrerie constitue toujours un traumatisme en termes humains et sociaux. La révolution a veillé à bien prendre soin de n'abandonner personne", plaide Rafael Suarez, directeur des relations internationales du monopole étatique Azcuba.
Julio Dominguez et Arnaldo Herrera, 84 et 86 ans, ont travaillé à Cuba Libre jusqu'à sa fermeture complète. Aujourd'hui le premier vivote d'une maigre retraite avec son épouse, tandis que l'autre glane quelques pesos en veillant sur une vanne d'eau qui alimente le "batey", un de ces petits hameaux nés de l'essor de l'industrie sucrière.
L'usine de broyage était toute "la vie des gens d'ici", explique M. Herrera. Avec sa fermeture, "la vie n'est la plus la même".
La 'Grande Zafra'
La complainte résonne dans tous les "batey" des usines fermées. Car si le travail était pénible, le secteur était généreux avec son personnel, payé au moins le double du salaire moyen cubain de 28 dollars mensuels.
Désormais "cette municipalité est nue. Elle n'a plus que le tabac", l'autre principale ressource agricole de l'île, déplore M. Dominguez.
Jusqu'en 1989, Cuba était l'un des principaux exportateurs de sucre de la planète. En 1968, Fidel Castro lance une "offensive révolutionnaire" pour relancer l'économie de l'île, qui reposait alors en grande partie sur la culture de la canne à sucre.
Pour 1970, il avait fixé comme objectif une production colossale de 10 millions de tonnes. Mais la "Grande Zafra", ("zafra" signifie récolte de sucre) qui mobilisa presque tout le pays pendant dix-huit mois, manqua son but avec seulement 8,5 millions de tonnes.
A l'époque, Moscou achetait la production à des tarifs préférentiels, mais la chute soudaine du grand frère soviétique a précipité le déclin de la filière.
Aujourd'hui, seules 54 unités de production fonctionnent encore et 60% des terres sucrières servent désormais à d'autres cultures ou à la pâture.
Dans les années 1990, le pays s'est ensuite trouvé confronté à la chute des tarifs sur les marchés, ainsi qu'au manque d'investissement et de semences, engrais et pesticides.
- 'On a touché le fond' -
Des huit millions de tonnes produites en moyenne par an, jusqu'à cette période, la production est tombée à 1,1 million en 2010. Et le poids du sucre dans les exportations cubaines a dégringolé, passant de 73% dans les années 1980 à 13% en 2015 (0,7% du PIB).
"On a touché le fond (...) Mais ensuite, les usines ont été améliorées et on a concentré les efforts sur la relance d'un bon volume de production", rappelle le dirigeant d'Azcuba.
Les récoltes, aujourd'hui mécanisées à 90%, ont permis de produire ces dernières années deux millions de tonnes par an, dont 700.000 sont destinées au marché intérieur. Le reste est exporté principalement vers la Russie et la Chine.
La stratégie est désormais de produire non seulement du sucre, mais aussi davantage de dérivés et sous-produits comme le rhum, les aliments pour le bétail et le carburant renouvelable, explique M. Suarez.
A 70 km de Cuba Libre, une cheminée fume encore. Depuis le début de la récolte (qui se terminera en mai), la sucrerie de Jesus Rabi tourne à plein régime. Une entêtante odeur caramélisée inonde le batey voisin.
A 63 ans, l'opérateur de chaudière Juan Hernandez y travaille encore après avoir dû quitter deux usines pour fermeture. Ce furent "des jours amers (...) une sucrerie arrêtée est une sucrerie arrêtée. Il n'y a plus d'activité" locale, souligne-t-il.
Cuba, qui s'ouvre à l'investissement étranger après des années d'isolement, aurait la capacité de produire jusqu'à quatre millions de tonnes de sucre par an lors de la prochaine décennie, mais "étant donné sa superficie", avec des surfaces cultivées limitées, "Cuba ne redeviendra jamais" un des plus gros exportations mondiaux, admet M. Suarez.
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