C'est un reportage diffusé à une heure de grande écoute, filmant en caméra cachée l'accueil hostile réservé à deux militantes féministes dans ce bar de Sevran, en banlieue parisienne, qui a échauffé les esprits sur ce que certains ont dénoncé comme une "colonisation" de la France "par l'islam".
La clientèle y est alors entièrement masculine, les deux femmes sont interpellées à leur entrée: "vous cherchez quelqu'un ?". Puis on leur assène: "Dans ce café il n'y a pas de mixité". "On est à Sevran, pas à Paris (..) ici, c'est une mentalité différente, c'est comme au bled", leur expliquent des clients.
Très vite, les réseaux sociaux s'enflamment. Certains érigent le bar en symbole de la mainmise des islamistes sur certains quartiers, de l'"effacement" sous contrainte des femmes dans les lieux publics.
Le patron, Amar Salhi, un Français d'origine algérienne de 59 ans, ne comprend pas: au "Jockey Club", il y a des jeux d'argent - loto et tiercé -, les cigarettes et l'alcool ne sont pas bannis. Pas plus que les femmes.
Mais son bar devient un sujet de campagne: le candidat socialiste Benoît Hamon se fera tancer par la droite et l'extrême droite - sous l'étiquette "islamo-gauchiste" - pour avoir semblé relativiser l'affaire. Le centriste Emmanuel Macron évoque dans ses meetings la nécessité d'assurer aux femmes la liberté "de s'asseoir aux terrasses de café".
"Ils m'ont tapé dessus. Tous !". Mais tout cela, "cela ne me ressemble pas du tout!": quatre mois plus tard, Amar Salhi ne décolère pas.
Depuis, des élus locaux, des clientes habituées du lieu, des habitants, se sont insurgés contre des "vérités choc, des slogans assénés" en dénonçant une instrumentalisation. Des contre-reportages ont été faits.
'Sous les projecteurs'
Pour Hakim El Karoui, auteur d'une vaste étude sur l'Islam en France, le reportage d'origine qui donnait une image fausse du Jockey Club a touché une corde sensible car "il y a des zones où une ségrégation est pratiquée".
"Cette ségrégation existe parce qu'il n'y a là que des immigrés. Les normes culturelles sont celles de l'Afrique, pas celles de la France du 21e siècle", estime l'auteur de cette étude intitulée "Un Islam français est possible".
Selon les estimations, 4 ou 5 millions de musulmans vivent en France, ex-puissance coloniale en Afrique, dont bon nombre incités à venir travailler dans les usines du pays dans les années 60-70.
Ils habitent souvent en périphérie des grandes villes, comme à Sevran, ancien village dont la population a explosé dans les années 60 mais qui, avec la désindustrialisation, a vu grimper chômage et délinquance.
Pour M. El Karoui, l'État a abandonné ces quartiers devenus parfois ghettos, laissant s'implanter un islam politique agressif qui séduit particulièrement les jeunes précaires.
Ce sont ces jeunes "peu qualifiés", éloignés de l'emploi, qui, selon son enquête, posent problème car ils ont "adopté des valeurs clairement opposées" à celles de la République.
"Ils sont pour la polygamie, contre la laïcité, et souvent en faveur de la burqa", affirme cet ancien conseiller d'un Premier ministre de droite.
Son étude estime que 28% des musulmans de France rejettent les valeurs républicaines -un chiffre qui a suscité la polémique. Par ailleurs, 46% sont pleinement intégrés dans la société, 25% de conservateurs naviguent dans l'entre deux.
Dans un pays traumatisé par les attentats islamistes, le débat sur la laïcité, la religion, la radicalisation reste électrique avec son lot de polémiques sur le voile, le maillot de bain intégral, la fermeture de mosquées accusées de fondamentalisme.
Seulement 39% des Français considèrent que "la façon dont l'islam est pratiqué (...) est compatible avec les valeurs de la société française", selon un récent sondage.
Pour les militants qui dénoncent l'islamophobie, chaque polémique - et le Jockey Club ne fait pas exception - a surtout pour but la stigmatisation des musulmans français.
Ils "se sentent assiégés, tout le temps sous les projecteurs", déplore l'un d'entre eux, Yasser Louati.
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