"Je ne suis pas un exemple. Mon parcours rappelle juste qu'un destin ne tient pas à grand-chose: pour moi, à la solidarité et l'amitié", se défend d'emblée la jeune femme, cheveux courts et visage mutin, toujours à la limite de la surchauffe.
Le slam, la boxe qu'elle enseigne à des femmes de Saint-Denis, les combats féministes et LGBT, sa passion pour la pédagogie Freinet: tout est désormais affaire de "lutte" dans la vie de l'ancienne "détenue Chenu", qui semble être enfin parvenue à assembler ses "différentes facettes".
Son histoire est d'abord celle d'une adolescence brisée. Malgré des apparences rassurantes - fratrie de quatre enfants, jolie maison dans les pâturages normands -, la famille se désagrège lentement autour d'un père psychotique.
Premier joint à 15 ans, petit deal dans la foulée pour "sa consommation personnelle". Quand la police l'arrête pour la première fois, elle a 19 ans et écoule 100 kilos de cannabis par semaine.
Suivront deux ans de descente aux enfers, entre la maison d'arrêt de Versailles et la prison de Fresnes où elle expérimente l'"inhumanité", "radicalisée par la détention" qui lui inocule la violence "comme une charge virale".
Paradoxalement, c'est aussi derrière les barreaux, à travers des rencontres-clés - ses codétenues, un prof de philo, une danseuse -, qu'elle découvre ce qui fera son salut: la solidarité, l'écriture, l'engagement politique et éducatif, le sport.
Alors que "le seul avenir proposé aux femmes incarcérées est coiffeuse, vendeuse ou agent administratif", elle se démène pour s'inscrire en fac de sociologie et passer ses diplômes. Lit Engels, Angela Davis ou le psychiatre Boris Cyrulnik, dont le concept de "résilience" alimente chez elle l'espoir d'une "deuxième vie". Ecoute et écrit du rap avec ses codétenues, pour "la rage, l'énergie et la poésie".
Terrain de foot réservé aux filles
A sa sortie, c'est en animant des ateliers d'écriture auprès d'adolescents d'une cité qu'elle a le déclic: "Il fallait que j'enseigne."
Problème de taille, le casier judiciaire qu'elle "se traîne comme un boulet" et l'empêche de passer les concours. "Même s'il n'y a qu'une chance sur 100 que ça aboutisse", elle dépose "une requête en effacement" et obtient, au bout d'un an, le feu vert.
Après avoir décroché le concours de professeur des écoles avec un 20/20 à "l'oral professionnel", elle s'ancre dans les écoles des quartiers les plus difficiles de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne. Stains, La Courneuve, puis Bobigny, où elle enseigne depuis six ans dans une école enserrée par les tours de la cité Karl Marx, qui met en oeuvre les méthodes alternatives Freinet.
Dans le hall, elle a fait installer des sacs de frappe pour la "boxe éducative", afin d'"inscrire les valeurs dans le corps, sans discours". Et se réjouit que, deux jours par semaine, le terrain de foot, "toujours squatté par les garçons", soit réservé aux filles.
"C'est une personnalité forte et engagée, une enseignante modèle", dit Véronique Decker, la directrice. "Peu convaincue" au départ par les ateliers boxe, elle admet avoir vu "des gosses gagner en audace et en estime d'eux-mêmes".
"Dans ce département, les conditions de vie peuvent être inhumaines. J'ai des élèves qui dorment dans leur voiture, des tout petits impliqués dans des affaires de délinquance... On a parfois l'impression de tenir les murs pour ne pas que ça explose", raconte Audrey Chenu.
L'"excellence", pour ces enfants "ghettoïsés et stigmatisés", l'institutrice en rêve encore. Mais y croit de moins en moins. "Pendant 15 ans, j'ai tout trouvé dans ce territoire de +parias+. Mais l'ambiance a changé, les divisions entre communautés ont gagné... Je ne ferai sûrement pas de vieux os ici." Il lui reste désormais à trouver une nouvelle "terre d'exil" où elle pourra continuer à "bâtir des ponts", son obsession.
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