Les témoignages d'auditeurs se succèdent sur Péyi, radio privée devenue organe officiel du conflit social. Sur les barrages érigés à Cayenne, les sonos diffusent Péyi. Dans les commerces, on écoute Péyi. Ses journalistes, animateurs, présentateurs, gardent le micro ouvert en continu.
Ils racontent les rassemblements, les coulisses du conflit, galvanisent. Ils expliquent où trouver du gaz, alors que la pénurie guette, où faire son plein d'essence. Des auditeurs appellent pour proposer du covoiturage.
"C'est le rôle citoyen de la radio, le rôle populaire de ce média délaissé, mais qui dans ce genre de mouvement est incontournable", observe Jérémy Harrous, un chef d'entreprise qui tenait une émission hebdomadaire sur Péyi mais se retrouve désormais chaque jour à l'antenne "bénévolement".
"Donner des informations, c'est ma manière à moi de militer", affirme ce trentenaire, pour qui "chacun" doit mettre "sa pierre à l'édifice" car "les discussions dépassent les intérêts personnels".
Alors que le mouvement social est basé sur des revendications sécuritaires, sanitaires et éducatives, Péyi, qui se dit neutre, épouse les combats des manifestants. Certains de ses journalistes lèvent le poing lors de manifestations. Leurs propos s'en ressentent parfois, sur les ondes ou via "Facebook live".
Cette technologie, qu'utilise également Guyane Première, la station publique, connaît un succès fracassant. Les journalistes, téléphone portable à la main, racontent en temps réel les images qu'ils filment. Et les internautes postent des commentaires.
Les audiences sont phénoménales. Alors que la Guyane compte 250.000 habitants, plus de six millions de personnes, sur une semaine, ont regardé les "live" de la radio la plus écoutée du département, avec 52,8% de part d'audience, selon sa rédaction en chef. Certains instantanés ont été vus simultanément par 18 à 20.000 personnes.
'Laboratoire' guyanais
Les "live" sont aussi mis sur la page Facebook de la radio. Près de 155.000 personnes ont ainsi visionné tout ou partie des deux heures de retransmission d'un rassemblement qui a dégénéré vendredi devant la préfecture. Des policiers avaient été frappés, un commissaire envoyé à l'hôpital, et des gaz lacrymogènes utilisés par les forces de l'ordre.
"Il y a une vraie école qu'on est en train de découvrir et sur laquelle on est en train de réfléchir. Ca pose vraiment de bonnes questions éditoriales", observe Bertrand Villeneuve, rédacteur en chef de Guyane Première. Sa station, assure-t-il, est devenue, de par son utilisation intensive de Facebook live, "un laboratoire pour le groupe France télévisions".
"Il faut faire attention aux mots qu'on emploie", analyse M. Villeneuve. Les pronoms "nous" ou "on", qui pourraient faire croire à une perte d'objectivité, ne sont "pas les bienvenus", au contraire de "ils" ou "eux", dit-il.
Un recul que méconnaissent les groupes WhatsApp, qui font un carton en Guyane. Les dizaines et parfois centaines de membres de ces groupes s'échangent dessins, extraits radiophoniques ou articles de presse. Partisans et opposants à la poursuite du mouvement font des batailles d'arguments. Quitte à propager parfois des rumeurs.
Si un habitant voit des "camions de gendarmes" partir sur Cayenne, c'est parce que l'Etat veut "pousser la population à la faute", affirme l'un d'eux, "information" que lui aurait "confirmée" un gendarme. Les forces de l'ordre sont pourtant d'une rare discrétion depuis le début du conflit.
Le mouvement social, c'est enfin les informations échangées sur Facebook. A Cayenne, "chaque barrage a son style", de par les activités, concerts, débats, qu'il organise et poste sur le réseau social, analyse l'anthropologue Isabelle Hidaire-Krivsky, qui souligne le caractère "participatif" de la "révolution" guyanaise.
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