Consommateur de Skenan, un puissant antidouleur à base de morphine qu'il s'injecte par intraveineuse, le jeune homme de 37 ans, SDF, est un habitué de cette salle, installée dans l'enceinte de l'hôpital civil de Strasbourg et seule du genre en France avec celle ouverte près de la gare du Nord à Paris.
Par cet après-midi de mars ensoleillé, casquette plate sur la tête et gobelet de café entre les mains, Loïc est installé dans la salle d'attente aux murs de couleurs vives de ce lieu baptisé Argos. Une légère odeur de désinfectant flotte dans la pièce, un comptoir propose des fruits, des gâteaux et des boissons, une musique jazzy en fond sonore.
Sur un mur, des panneaux lumineux annoncent l'ordre de passage des usagers: on appelle le numéro 30 ou 32 dans les espaces dédiés au sniff, à l'inhalation ou à l'injection.
Pas "catalogué"
S'il fréquente la salle tous les jours, Loïc n'y vient pas seulement pour consommer avec le matériel stérile mis à sa disposition. Il vient aussi récupérer des seringues propres, prendre une douche, discuter, charger son ordinateur.
"On ne se sent pas jugé, catalogué 'drogué', c'est convivial, même les vigiles discutent", constate-t-il. "Je n'ai jamais vu de bagarre ou de prise de tête".
Le jeune homme apprécie que son chien Anubis soit le bienvenu dans le hall du bâtiment et que la salle soit ouverte tous les après-midi, même le dimanche.
Selon ses responsables, 10% des usagers sont à la rue, un chiffre qui monte à 20% si l'on inclut ceux qui se trouvent dans une situation très précaire.
Si la vocation première d'Argos est de permettre aux toxicomanes de consommer les substances - qu'ils apportent - dans des conditions optimales d'hygiène et de sécurité, du personnel médical et des travailleurs sociaux sont aussi disponibles pour les accompagner vers un parcours de soins ou les aider pour certaines démarches.
"Mon collègue était en galère de CMU (Couverture maladie universelle), ils lui ont fait les démarches en urgence", raconte Loïc qui, lui, a pu passer un "fibroscan" pour évaluer l'état de son foie.
Dans l'espace de consommation, des cloisons séparent des boxes individuels. Loïc utilise parfois un paravent pour s'isoler des autres usagers. "Parfois, je galère pour m'injecter, mes veines ne sont plus visibles", raconte-t-il, disant souhaiter décrocher, après des années de consommation.
Le personnel de la salle peut donner des conseils aux usagers, par exemple les dissuader de se piquer dans des zones trop dangereuses, comme la gorge ou l'aine.
"On voit encore (des toxicomanes) qui font leur truc entre deux voitures, alors qu'il a des gamins qui passent à côté", regrette Loïc.
Bien loin de l'affluence de la salle parisienne, Argos tourne actuellement à 30-40 passages par jour, majoritairement pour des injections (63% de la consommation). Une fréquentation qui laisse le temps de faire "un travail plus qualitatif", se félicite le Dr Alexandre Feltz, adjoint au maire de Strasbourg en charge de la santé publique.
Paradoxalement, c'est parce qu'il n'y a pas d'injonction de soin dans cette salle que certaines personnes entrent dans une logique de sevrage, estime-t-il, donnant l'exemple d'une jeune femme qu'il suit aujourd'hui dans son cabinet pour un traitement de substitution à l'héroïne.
"C'est aussi un lieu d'accueil, pas seulement de consommation, les gens ne passent pas leur temps à se trouer les veines", insiste Danièle Bader, directrice de l'association Ithaque, qui gère la salle.
Mme Bader souligne qu'aucune overdose ne s'y est produite depuis son ouverture. "Les gens nous écoutent. Quand ils ont un nouveau produit, on leur dit de commencer par le tester en toute petite quantité", explique-t-elle.
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